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Libération
Interview

«Il n’y a aucun contrôle sur des associations comme la NRA»

Les spécialistes Geoff West et Robert Maguire décrivent les points forts de l’organisation proarmes américaine.
Des membres de la National Rifle Association (NRA) à Atlanta, le 29 avril. (Photo Scott Olson. AFP)
publié le 23 mars 2018 à 20h26

Geoff West et Robert Maguire étudient les effets, sur les campagnes et les politiques publiques, des lobbys des armes, en particulier de la National Rifle Association (NRA) pour le Center for Responsive Politics (CRP), un organisme à but non lucratif basé à Washington.

Comment fonctionne le lobbying de la NRA ?

Geoff West : La NRA a deux bras : d'un côté l'association à but non lucratif qu'elle est censée être, avec ses très nombreux membres. De l'autre, la NRA-ILA, pour «Institute for Legislative Action», qui s'occupe de faire le lobbying. Via cette structure, la NRA fait des contributions directes aux campagnes des candidats dans toutes les élections. Une autre partie de son argent est dépensée dans ce qu'on appelle les dépenses indépendantes, qui financent par exemple les spots de campagne, des panneaux, des courriers…

Robert Maguire : Mais son autre bras, l'association NRA, dépense encore plus. Et c'est à ça que les gens font référence quand ils évoquent le «dark money» de l'association. La NRA n'est pas censée être une organisation politique et n'a donc pas de plafond de dépenses. Aux Etats-Unis, il n'y a aucun contrôle sur ces associations pourtant politiquement actives. C'est pour ça que les groupes comme la NRA sont des terreaux fertiles pour qui veut influencer la politique de manière anonyme.

On dit souvent que la NRA dépense moins d’argent que d’autres groupes d’intérêts, et que sa force, c’est sa base…

G.W. : Sa force, c'est sa capacité à convaincre qu'elle peut mobiliser cette base. Si un démocrate ou un républicain, dont le but reste de se faire réélire, pense qu'une majorité de ses électeurs est en faveur des droits des armes, alors il s'alignera sur les positions de la NRA et posera avec son fusil dans son spot de campagne. L'association affirme avoir 5 millions de membres, mais aucun document ne le prouve. Le magazine indépendant Mother Jones a fait une enquête récemment : en s'appuyant sur la diffusion des magazines auxquels sont automatiquement abonnés les membres de la NRA, le journal a démontré que les chiffres ne collaient pas.

D’où vient le pouvoir de la NRA ?

R.M. : L'argent, d'autant qu'ils ne dépensent pas tant que ça en lobbying, leur mot d'ordre étant : «Ne faites rien !» Ensuite, ses membres, qui même s'ils sont un dixième du chiffre officiel, restent une force de mobilisation d'ampleur. Mais surtout, ils ont un message incroyablement efficace. Quand vous regardez les tenants d'une plus stricte législation, ils ne disent pas «allons détruire les armes de tout le monde», mais «voici la liste des choses que l'on voudrait faire», avec des arguments complexes. En face, la NRA dit seulement : «Ils veulent vous prendre vos armes !»

Quand les jeunes de Parkland disent aux élus «soit vous êtes pour les enfants, soit vous êtes pour la NRA», ne sont-ils pas, eux aussi, en train de formuler un message simple et efficace ?

R.M. : Oui, mais à la fin, ça reste une question de mesures politiques. Ce que ces jeunes ont enclenché est formidable et ils peuvent encore dire, à ce stade du mouvement, «nous ne voulons plus mourir dans nos écoles», ce qui est un message assez simple et consensuel. Mais la question, c'est comment traduire cela dans la loi ? Evidemment, ça ne va pas être «débarrassons-nous du deuxième amendement !» mais plutôt une liste de mesures. Ce sera toujours plus compliqué que la phrase référence de la NRA.