Myriam Benraad, professeure de sciences politiques à l'université de Leyde, aux Pays-Bas, vient de publier Jihad : des origines religieuses à l'idéologie. Idées reçues sur une notion controversée (éditions Cavalier bleu).
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L’attentat de Trèbes a été revendiqué par l’Etat islamique alors qu’on le dit plus affaibli que jamais…
Cette attaque vient rappeler que nous ne nous situons pas dans un quelconque postjihadisme malgré les victoires militaires remportées contre l’Etat islamique sur le terrain à Mossoul, en Irak, ou à Raqqa, en Syrie. On est loin d’en avoir fini avec ce mouvement, au Moyen-Orient comme en Europe. L’EI n’a pas disparu en Irak et en Syrie, comme le montrent aussi ses attaques récentes, dans plusieurs provinces comme celles de Kirkouk ou d’Idlib. Il existe par ailleurs un vivier de radicalisés partout à travers le monde qui n’ont pas renoncé à l’idéal jihadiste de cette supposée défense de l’islam contre les mécréants. Le jihadisme demeure une idéologie hyperpuissante et toujours opérante.
Il n’est d’ailleurs pas fondamentalement nécessaire d’obtenir une revendication officielle de l’EI pour savoir que le groupe a idéologiquement inspiré un attentat. Certes, il a revendiqué celui de Trèbes, mais dans l’absolu, dès lors qu’un militant, même seul, se réclame du groupe et de ses objectifs, c’est déjà là une indication que les appels, même anciens, de l’organisation terroriste à passer à l’action continuent d’avoir du répondant. On n’a pas entendu d’instructions récentes des chefs de l’Etat islamique. Mais le message appelant à frapper partout imprègne toujours les esprits de ses partisans.
S’il n’y a pas eu d’ordre formel de l’EI, faut-il privilégier la piste dite du«loup solitaire» ?
Je n’ai pour ma part jamais cru à la thèse du loup solitaire, même dans les cas où aucun lien formel n’est établi entre un assaillant et un donneur d’ordre sur zone. Car à partir du moment où un individu est intoxiqué par la propagande, même par le biais d’Internet, il n’est pas seul. Le profil de l’assaillant de Trèbes est apparemment celui d’un radicalisé assez classique. Cette attaque démontre aussi qu’il est impossible d’identifier qui est susceptible de passer à l’acte. Les services de renseignement savaient qu’il y aurait de nouveaux attentats en France, mais ils ne pouvaient prévoir qui agirait, où, et comment.
Les revers de l’EI n’ont-ils pas découragé les partisans du jihad ?
On retrouve deux tendances après les défaites militaires du «califat». Découragement et désillusion d’une part, en particulier chez les revenants. Ceux-là sont souvent désenchantés face à l’eldorado auquel ils avaient cru, constatant qu’il s’agissait d’une promesse vide. D’autant qu’ils ont été témoins d’actes atroces commis par un groupe foncièrement criminel. Il y a une autre tendance, d’autre part, illustrée par l’attaque de Trèbes : celle d’un revanchisme jihadiste particulièrement répandu parmi les résidents radicalisés. Les défaites militaires et pertes de territoires alimentent chez eux une intarissable soif de vengeance.
Pensez-vous que l’EI peut rebondir ?
Nourrissant une nostalgie du califat, au terme d’un premier âge d’or (2014-2017), la propagande de l’Etat islamique présente ses revers comme une simple épreuve à passer. Elle rappelle les précédentes périodes de son recul, comme en 2007-2008 sur le théâtre irakien, lorsque la contre-insurrection américaine et le mouvement de la Sahwa parmi les tribus sunnites l’avaient un temps vaincu. La rhétorique actuelle insiste sur le fait que la reconstitution des rangs jihadistes a été possible par le passé. Et sa résurgence d’autant plus forte.