«Welcome to the revolution !» lance Cameron Kasky à la tribune. Il est le premier lycéen de Marjory Stoneman Douglas, l'établissement de Parkland (Floride) où 14 élèves et 3 professeurs ont été tués dans une fusillade le 14 février, à s'exprimer devant 800 000 manifestants pour la «March for Our Lives», à Washington. «Depuis que ce mouvement a commencé, les gens me demandent : pensez-vous qu'un changement va sortir de tout ça ? Regardez autour de vous : nous sommes le changement», assène-t-il, déclenchant les applaudissements soutenus de la foule.
Beaucoup de parents, des professeurs, des retraités, des enfants. Mais surtout beaucoup de lycéens et d'étudiants, fers de lance de cette mobilisation pour un durcissement du contrôle des armes à feu aux Etats-Unis, ont défilé ce samedi le long de Pennsylvania Avenue, artère centrale de la capitale fédérale américaine qui relie la Maison Blanche au Congrès. Défilé, ou plutôt, piétiné : la foule était très compacte. Réagissant aux cris de «enough !» («assez») et «never again» («plus jamais»), les mots d'ordre du mouvement, ou huant les trois lettres «NRA» (National Rifle Association, puissant lobby des armes aux Etats-Unis), ou les noms des sénateurs les plus conciliants avec les pro-armes.
Des écrans géants ont été installés le long du parcours pour retransmettre les discours des lycéens de Parkland et les prestations, entre autres, des chanteuses Demi Lovato, Ariana Grande ou Miley Cyrus. Mais ce sont surtout Cameron Kasky, David Hogg et, pour clore le bal, Emma Gonzalez, la figure de proue du mouvement Never Again, que les manifestants sont venus écouter. Beaucoup de pancartes reprennent d'ailleurs l'anaphore du premier discours de la néomilitante au crâne rasé, où elle lançait : «We call BS !» («Nous répondons : connerie !») aux motifs habituels d'inaction pour une meilleure législation sur les armes. D'autres montrent son visage juvénile avec «Gonzalez 2036», en future candidate à de lointaines élections.
«A l’abri»
Jenna, une enseignante de 26 ans venue de la Virginie voisine, manifeste avec ses collègues. «La ville où j'enseigne a beaucoup de problèmes de drogue et de violence, avance-t-elle. Je ne veux pas que mes élèves aient peur de venir à l'école. Il faut qu'ils s'y sentent à l'abri, en sécurité, pour apprendre.» La volonté de Donald Trump d'armer les professeurs semble l'agacer au plus haut point : «On me dit qu'on va me donner une arme, quand ce dont j'ai besoin, c'est de crayons et de feutres ! Rajouter des armes dans les écoles, ce n'est pas la solution, mais un autre problème.»
C'est au tour de David Hogg de prendre la parole. Avec ses discours très articulés et son assurance, le lycéen de Parkland est devenu l'un des leaders du mouvement Never Again, et la principale bête noire des pro-armes aux Etats-Unis. «L'hiver est terminé, le changement arrive, clame-t-il, sous le timide soleil de Washington. Vous le sentez, les gens au pouvoir tremblent.» Et d'ajouter : «Faire passer les Etats-Unis avant la NRA», rappelant que 96 personnes meurent chaque jour par arme à feu.
Dans la foule, chacun semble avoir sa propre histoire de violence armée (lire ci-contre). Le Washington Post rappelait en une ce samedi ce chiffre hallucinant : 187 000 étudiants ou écoliers américains y ont été exposés depuis 1999. Francie a accroché sur son manteau un ruban en velours rouge, avec un petit ange doré et ces mots : «Erin Nicole Peterson, 16 avril 2007.» «C'est le nom de la fille unique d'une amie, qui est morte pendant la fusillade de Virginia Tech», explique cette prof retraitée, faisant référence au massacre dans cette université qui avait fait 32 morts. A côté, son fils, qui y était scolarisé à l'époque, ne veut pas s'exprimer. «C'est toujours un sujet difficile pour lui», explique sa mère, les yeux mouillés derrière ses lunettes. «Je ne suis pas très optimiste. Quand on voit que le Congrès n'a rien pu faire après Sandy Hook [une fusillade dans une école primaire du Connecticut, en décembre 2012, qui a tué 27 personnes dont 20 très jeunes enfants, ndlr], alors qu'on avait un président démocrate, j'ai du mal à croire que ça puisse changer maintenant. Peut-être que nous devrions montrer les photos de ces petits corps sur lesquels on a tiré à bout portant avec une arme semi-automatique aux élus du Congrès. Peut-être que ça les ferait réagir. Parce que pour l'instant, ils sont dans le déni.»
«Mesurette»
Avant de partir pour sa villa de Mar-a-Lago (Floride) pour le week-end, la veille de la marche, Donald Trump a, semble-t-il, voulu faire preuve de mansuétude : le département américain de la Justice a annoncé vendredi soir l'interdiction des «bump stocks», ces dispositifs qui permettent d'augmenter la cadence de tir d'armes semi-automatiques pour tirer en rafale, notamment utilisés lors de la tuerie de Las Vegas qui a fait 58 morts en octobre. «Une mesure cruciale pour réduire la menace des violences par armes à feu tout en restant dans le cadre de la Constitution et des lois adoptées par le Congrès», a déclaré le ministre de la Justice, Jeff Sessions. «Une mesurette de rien du tout, répond Andrew, un manifestant scolarisé dans le Maryland. Au vu des enjeux, ils vont avoir besoin de faire beaucoup plus pour qu'on rentre sagement chez nous.»