Cinq ans après son départ du Pakistan, entre la vie et la mort, Malala Yousafzaï n'est plus une enfant. L'adolescente de 14 ans, qui avait été évacuée en toute urgence au Royaume-Uni, après qu'un taliban pakistanais lui eut tiré une balle dans la tête, a grandi. Ses traits poupins ont laissé place à un visage dessiné, sa voix est davantage affirmée, sa pudeur plus adulte. Malala Yousafzaï réajuste souvent son voile rose et bleu entre chaque intervention. «C'est fou, elle est devenue femme», souffle un journaliste pakistanais après une première apparition publique.
Entre ses adieux au Pakistan dans des conditions dramatiques et son retour au pays, l'ado qui défiait les talibans et militait pour la scolarisation des filles sur un blog de la BBC a vécu un «miracle», selon ses propres mots. Celui de la guérison. Elle s'est remise de ses blessures. Elle est allée au lycée à Birmingham, a intégré la prestigieuse université d'Oxford. Elle a surtout été distinguée en 2014 du prix Nobel de la paix.
Jeudi matin, c'est donc en invitée d'Etat que Malala Yousafzaï a été reçue à la résidence du Premier ministre. Un dessin de son visage était projeté sur un écran géant, derrière son pupitre. Le chef du gouvernement Shahid Khaqan Abbasi a alors loué «l'enfant de tous les Pakistanais», à qui la nation voue un «respect total». Chacune des interventions de la jeune femme a été ponctuée d'applaudissements nourris.
Toujours menacée
Très émue, Malala Yousafzaï n'a pu retenir ses larmes. «Tant de fois, depuis cinq ans, j'ai regardé au travers des vitres des avions, des voitures. J'espérais voir apparaître le Pakistan… Il est enfin là, je suis tellement heureuse. […] Si cela avait été possible, je ne l'aurais jamais quitté», mentionnant à plusieurs reprises «un rêve devenu réalité», ou «le plus beau jour de [sa] vie».
Malala Yousafzaï est pourtant arrivée de nuit, dans le secret, et elle ne restera que quatre jours au Pakistan. Une cohorte de policiers l'entoure dans chacun de ses déplacements. D'après un membre de sa famille contacté par Libération, il n'est pas prévu qu'elle quitte la capitale Islamabad, la ville la plus sûre du pays, pendant son séjour. Même pour se rendre dans la vallée du Swat, dont elle est originaire, et qu'elle dit tant aimer. Où l'on a attenté à sa vie.
Car la Prix Nobel de la paix est encore menacée aujourd’hui, malgré l’affaiblissement sur le terrain des talibans pakistanais, qui ont voulu la réduire au silence. Portée aux nues par la frange libérale de la population pakistanaise, elle est aussi la cible récurrente des «Jamatiye» – un terme populaire désignant initialement les électeurs du parti religieux Jamaat-e-Islami, mais qui recouvre désormais les Pakistanais conservateurs au sens large.
Changement de mentalités
Dans la classe moyenne, et même parmi les gens éduqués, son discours est perçu comme antireligieux et vendu à l'Occident. En 2015, un livre I Am Not Malala, I Am Muslim, I Am Pakistani («Je ne suis pas Malala, je suis musulmane, je suis pakistanaise») avait même été édité en opposition à son autobiographie, I Am Malala.
A ces détracteurs s'ajoutent les conspirationnistes de tous bords, depuis les «analystes» des plateaux télé qui nient son agression, jusqu'aux montages vidéo des internautes sur Facebook… Et maintenant YouTube : fermé de 2012 à 2016 par la justice pakistanaise à cause d'une vidéo «blasphématoire», le site retrouve progressivement une large audience au Pakistan. Les «Malala Haters» («ceux qui détestent Malala»), ainsi qu'ils s'autoproclament, s'en donnent à cœur joie.
Sur Twitter, certains internautes la traitent de «larbin», de «propagandiste en location» ou d'«agent des forces antipakistanaises». Mais la plupart d'entre eux préfèrent saluer le retour d'une «légende vivante», une «unificatrice du pays». Face au Premier ministre, Malala a longuement rappelé combien l'éducation des filles et l'indépendance des femmes étaient une priorité de sa lutte, et a demandé un changement de mentalités de la part des Pakistanais.
Les 6 millions de dollars (4,88 millions d’euros) qu’elle dit avoir investis dans son pays via sa fondation ne seront pas de trop. Le Pakistan, dont la population est de plus de 200 millions d’habitants, croît de 4 millions chaque année. Parallèlement, 42% des adultes y sont analphabètes, selon les dernières statistiques officielles. Au Balouchistan, sa province la plus pauvre, seules 24% des femmes savent lire et écrire.