Tout a commencé par un coup de sonnette, trois jours après mon arrivée à Berlin. «Un paquet pour votre voisin, M. P., en face», dit le livreur. Enchantée de rendre service, je réponds : «Bien sûr, je prends.» J'avais signé un pacte avec le diable. Mon seul tort, habiter au rez-de-chaussée.
Il y eut ensuite des dizaines de paquets. Des centaines. Des gros, des petits. Des mous, des durs. Des jolis, des bizarres. Tous les matins ou presque retentit la sonnette du livreur. Tous les soirs ou presque retentit la sonnette des voisins venant chercher leur dû. Parfois, pour m'attendrir, ils viennent avec leur enfant, qui me lâche un touchant «Au revoir» en français. Ainsi, le ballet des entreprises de livraison peut reprendre. DPD. DHL. Hermes. UPS. Il y eut Noël, où je n'ai pas chômé. Aujourd'hui, il y a Pâques.
J'ai saisi quelque chose de la culture allemande. Pour une raison mystérieuse, ce peuple passe un temps infini à commander des choses en ligne. Des objets, de la bouffe, des fleurs. C'est le «Paket-Boom». Un chiffre glaçant : en 2017, l'Allemagne a reçu plus de 3 milliards de colis. En 2021, ce sera 4 milliards, selon le Spiegel. Qui arrêtera cette machine infernale ?
Tendresse et mépris
Cela engendre des tensions. D'abord pour moi, qui suis devenue un relais colis géant. Il y a la voisine qui sonne à 8 heures un samedi, dans le plus pur mépris du concept de week-end ; celle qui met un mot comminatoire sur votre porte car vous détenez deux paquets à elle, qu'elle n'est jamais venue chercher en deux semaines ; sauf qu'après, vous êtes allés passer quelques jours en France. Retards et erreurs de livraison rendent les Allemands fous. A Cologne, juste avant le Paket-Boom de Noël, un messager Hermes a été attaqué avec un couteau parce qu'il n'avait pas le bon colis. Début décembre, un colis piégé trouvé près du marché de Noël de Potsdam a ravivé chez les Allemands la peur du terrorisme. En vérité, les maîtres chanteurs tentaient d'extorquer des millions d'euros à DHL, menaçant d'envoyer plein de colis piégés en cette période de Noël (je l'ai échappé belle !). Jeudi encore, un paquet piégé a été reçu à la Chambre des métiers de Berlin. Est-ce l'œuvre du «DHL-Bomber» ? L'enquête se poursuit.
Mes histoires de colis amusent mes visiteurs, surtout les Allemands. Ils me disent, avec un mélange de tendresse et de mépris : «Ah, c'est toi la voisine sympa qui garde les paquets de tout le monde ?».
Et les livreurs ? Je les connais tous. Je les soupçonne surtout de s'être passés le mot. Cet article, intitulé «Colis : où vit l'abruti qui réceptionne tous les paquets ?», en plus de m'insulter, me l'a confirmé.
Et moi ? Je me suis fait livrer deux étagères. La première est bien arrivée, mais le livreur n’a pas voulu me laisser la payer avec ma carte de crédit française. J’ai dû aller la chercher au bureau de poste, me cassant le dos, ce qui était précisément ce que je voulais éviter avec le concept de «livraison à domicile». Et la deuxième ? Alors que je rangeais les colis de ma voisine dans le couloir, elle est mystérieusement arrivée chez un voisin – qui habite, naturellement, au troisième étage de l’autre immeuble.