On estime à 26 millions en moyenne le nombre d'individus contraints au déplacement chaque année, temporaire ou durable, à cause des phénomènes climatiques extrêmes. C'est deux fois plus que le nombre de réfugiés qui fuient les conflits. Selon le dernier rapport de la Banque mondiale, publié le 19 mars, 95% de ces déplacements concernent les pays à faibles et moyens revenus.
Un défi urbain avant tout
Le chiffre phare du rapport, c'est celui des 143 millions de migrants climatiques prévus par les démographes pour 2050. L'équivalent de la population russe. Ces personnes, affectées par des phénomènes climatiques qui touchent leur environnement sur le long terme (intensification des sécheresses et des inondations, hausse progressive du niveau de la mer…), se retrouvent déracinées dans leur propre pays. Baisse de la production agricole, pénurie d'eau et érosion des côtes pousseront de plus en plus d'individus à migrer vers les régions les moins exposées aux risques au sein d'un même Etat. Conséquence de ces déplacements massifs de populations, la Banque mondiale prévoit une explosion de la population urbaine, notamment en Afrique de l'Est. Dans cette région, le nombre de déplacés pourrait quadrupler d'ici 2050, car le phénomène se conjugue avec le taux de croissance de la population prévu indépendamment des conséquences du changement climatique.
«Population piégée»
Si l'intensité de ces migrations climatiques effraie, l'immobilité de certaines populations à risque est tout aussi préoccupante. Comme le rappelle la Banque mondiale, «le changement climatique peut être à la fois un moteur et un frein aux migrations». Les catastrophes naturelles affectent davantage les populations les plus pauvres car elles disposent de moins de ressources pour y faire face. Souvent, leur mode de vie dépend d'écosystèmes de plus en plus fragilisés. Ce manque de ressources et cette fragilité peuvent conduire les individus vulnérables à rester dans ces zones à risques, faute d'alternative. C'est ce que le chercheur en sciences politiques François Gemenne appelle les «populations piégées». Pourtant, continuer à vivre dans ces zones exposées aux perturbations climatiques n'est pas sans risque, notamment pour la santé des individus. Au Bangladesh, la montée du niveau de la mer menace non seulement les sols mais également les réserves d'eau douce, en raison du sel, selon l'OMS. La hausse des températures, elle, crée des conditions de reproductions pour certains insectes porteurs de maladie comme le paludisme, la dengue ou Zika. Dans l'incapacité de migrer, les populations exposent leur santé à d'autres risques, exacerbés par le changement climatique.
Ce chiffre impressionnant des 143 millions de déplacés climatiques pourrait toutefois être maintenu sous la barre des 40 millions si des actions concrètes et efficaces sont menées dès aujourd'hui. Encore une fois, il s'agit ici de stopper les émissions de gaz à effet de serre afin de limiter la hausse des températures sous la barre des 2°C avant la fin du siècle. Il est aussi indispensable d'intégrer le scénario inéluctable des migrations climatiques dans les politiques actuelles ainsi que dans les plans de développement nationaux et internationaux. Au niveau financier, la Banque mondiale prône aussi des investissements, notamment dans le développement d'indicateurs climatiques et socio-économiques plus précis et plus performants pour obtenir des résultats plus détaillés de ce qui attend la planète et ses habitants. Quoi qu'il arrive, le nombre de déplacés climatiques augmentera dans les années à venir. L'enjeu, aujourd'hui, est de limiter cette hausse.