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Libération
Disparition

Winnie Mandela, mort d’une icône controversée

L’ex-femme de Nelson Mandela, compagne de lutte contre l’apartheid sud-africain, est décédée lundi, à 81 ans. Des affaires pénales avaient considérablement terni l’image de cette éternelle insoumise.
Winnie Mandela à Brandfort, en Afrique du Sud, en 1977. (Photo P. Magubane. Avusa Archives. Gallo Images. Getty Images)
par Patricia Huon, Correspondante à Johannesburg
publié le 2 avril 2018 à 20h46

Figure de proue de la lutte anti-apartheid, infatigable résistante et militante pour l’égalité de la population noire en Afrique du Sud, Winnie Mandela s’est éteinte lundi, à l’âge de 81 ans. L’ex-épouse de Nelson Mandela, qu’on appelait Winnie Madikizela Mandela depuis son divorce, avait été hospitalisée à plusieurs reprises depuis le début de cette année pour une infection rénale.

C’est d’abord pour l’amour d’un homme que Winnie Mandela s’est retrouvée plongée dans le combat contre le régime raciste. Jeune assistante sociale, elle épouse Nelson Mandela en 1958. Elle n’a alors que 21 ans, il en a presque 40 et est un membre important du Congrès national africain (ANC), traqué par la police. Ils ne vivront ensemble que quelques années, dans le township de Soweto, et auront deux petites filles, avant l’entrée de Nelson Mandela dans la clandestinité, puis son arrestation. Pendant son incarcération à Robben Island, le couple se voit très rarement, ne peut échanger que deux lettres par an, censurées, parfois déchiquetées.

«Endurcie»

Winnie souffre aussi de la répression brutale du régime. Emprisonnée, violentée, astreinte à domicile, puis bannie à l'écart de Johannesburg dans une petite ville rurale, la jeune femme ne plie pas. Les épreuves renforcent sa détermination, elle se bat corps et âme pour la libération de son mari et milite activement pour poursuivre son combat. «Les années d'emprisonnement m'ont endurcie, dira-t-elle d'elle-même. Quand la douleur devient un mode de vie, je ne ressens plus de peur.»

Lorsque Nelson Mandela sort de prison, en 1990, après avoir passé vingt-sept ans derrière les barreaux, Winnie est toujours à ses côtés. Main dans la main, ils avancent vers la foule, le poing levé. Mais leurs retrouvailles seront de courte durée. Le couple se sépare deux ans plus tard, après des révélations sur l'infidélité de Winnie. Ses positions radicales, et les accusations de violence qui lui sont faites, sont aussi devenues gênantes. Le divorce est prononcé en 1996, après trente-huit ans de mariage. Celle qu'on surnomme «la mère de la Nation» est aussi controversée qu'elle est engagée. Dans les années 1980, lorsqu'elle rentre à Soweto, Winnie troque ses tenues traditionnelles pour un treillis militaire et s'entoure de jeunes hommes qui forment sa garde rapprochée. Le groupe, nommé le Mandela United Football Club, adopte des méthodes brutales qui se rapprochent plus de celles d'une milice que d'un club de sport. Winnie elle-même est soupçonnée d'avoir fait torturer et tuer un jeune militant, Stompie Moeketsi Seipei, soupçonné d'être un informateur du régime d'apartheid.

Six ans de prison

Devant la commission Vérité et Réconciliation, chargée de faire la lumière sur les crimes politiques commis pendant l’apartheid et présidée par l’archevêque anglican et prix Nobel de la paix Desmond Tutu, celui-ci la supplie de s’excuser. Winnie Mandela refuse. En 2001, elle est reconnue coupable de complicité dans l’enlèvement et le meurtre de l’adolescent. Elle est condamnée à six ans de prison, une peine ultérieurement commuée en amende. En 2003, la descente aux enfers continue : Winnie Mandela est reconnue coupabledans une affaire de demandes frauduleuses de prêts bancaires. Elle n’échappe à la prison qu’après un procès en appel.

En 2009, elle fait néanmoins un retour en politique. L’occasion de constater la popularité dont elle jouit encore, notamment auprès des habitants des townships, qui ont décidé de ne retenir que le meilleur, ou de pardonner le pire de son combat pour leurs droits. Jusqu’au bout, Winnie Mandela est restée une éternelle insoumise, une personnalité complexe. Elle emporte des secrets dans la tombe. Ce qui est certain, c’est qu’avec elle, c’est l’une des dernières icônes de la lutte anti-apartheid qui disparaît.