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Libération
Reportage

A Hongkong, les résistants entrent en résilience

Quatre ans après la révolte, l’opposition est morcelée en une myriade de petits partis, toujours mobilisés mais réprimés par le pouvoir central chinois, notamment lors des législatives partielles de mars.
Tak Chi Tam, le 7 février à Hong Kong. (Photo Pierfrancesco Celada pour Libération)
publié le 3 avril 2018 à 19h36

Militer dans l’opposition à Hongkong relève du sacerdoce, sinon du prêche dans le désert. Ils avaient pourtant été des centaines de milliers à manifester à l’automne 2014 pour réclamer le suffrage universel dans ce territoire de 7,4 millions d’habitants. Mais le souffle de la «révolte des parapluies» est retombé, et avec lui l’espoir né lors des législatives de 2016 quand le camp prodémocratie avait ravi 30 des 70 sièges du Parlement. Car depuis deux ans, Pékin a rappelé sa région semi-autonome à l’ordre. Six députés de l’opposition ont été disqualifiés, les partisans de l’indépendance se sont volatilisés et les manifestants jugés trop violents ont été emprisonnés. Nouveau coup des autorités chinoises qui ont invalidé la candidature de plusieurs militants aux législatives partielles du 11 mars dernier. La Chine a par ailleurs accentué sa mainmise sur la société civile, s’en prenant notamment à des libraires et des éditeurs indépendants et critiques du régime chinois.

Autant de coups qui ont ébranlé la certitude de jouir jusqu’en 2047 des libertés promises lors de la rétrocession du territoire à la Chine en 1997 après cent cinquante ans de colonisation britannique. Aujourd’hui, l’opposition est morcelée en une myriade de petits partis dépourvus de réels moyens financiers et humains. Les ingérences répétées de Pékin dans les affaires de Hongkong ont bien motivé quelques militants à donner un coup de main aux résistants ou à leur verser de l’argent. Mais avec la multiplication des procès et des condamnations, ceux qui ont le courage de monter en première ligne se font rares. A peine ces opposants ont-ils défini une autre tactique que Pékin décrète de nouvelles règles. Pour autant, ils n’ont pas baissé les armes.

Tak-Chi Tam, le prêcheur des rues

Quand il regarde les gens autour de lui, Tak-Chi Tam sent la colère monter : «Ils sont tranquilles, comme si la menace n'existait pas.» «Les Hongkongais réalisent bien ce qui est en train de se passer mais ils n'osent pas aller contre le courant. Ils n'osent plus manifester et, petit à petit, abandonnent eux-mêmes leurs libertés», déplore l'animateur de radio à la voix rocailleuse, dépité devant «une culture fast-food, pragmatique et avide de résultats instantanés». Jean noir, cuir noir et lunettes noires, cet anticonformiste et protestant revendiqué est, lui, de tous les rassemblements ou presque avec son parti, People Power. Mais «la Chine attaque de partout, on ne peut pas riposter systématiquement, surtout en si petit nombre», se désole le Hongkongais de 46 ans. Son parti compte une centaine de membres et peu de nouvelles recrues.

Il raconte que lors de la rétrocession, «il ne faisait pas confiance au Parti communiste chinois». «Le pasteur nous encourageait à apprendre la Bible par cœur avant que les communistes ne brûlent les livres saints.» Dans ce climat de peur, il se croyait cependant protégé parce que «le monde entier avait Hongkong à l'œil». Malgré tout, le principe «un pays, deux systèmes» a été mis à mal par le gouvernement chinois : «Il faut parler aux gens toutes les semaines, dans la rue, pour les amener à changer leur façon de penser.» En 2006, Tak-Chi Tam a claqué la porte de la matinale qu'il animait sur Metro Radio, station détenue par l'un des tycoons les plus puissants de Hongkong. «On nous a fait passer comme consigne de ne pas critiquer le régime et ne pas froisser le gouvernement sous peine de perdre l'argent de la publicité.» Il décide de s'engager en politique pour «protéger les valeurs fondamentales de Hongkong». Depuis, il milite avec l'espoir de voir la démocratie enfin gagner, et le Parti communiste chinois un jour chuter.

Agnès Chow, de collégienne à ennemie du Parti

Avec sa jupe longue et son chemisier gris, Agnès Chow a des airs de première de la classe. Elle n'en est pas moins une des cibles les plus en vue du Parti communiste chinois. Avec son slogan «le droit des Hongkongais à l'autodétermination», l'étudiante voulait reconquérir le siège de député du parti Demosisto de Nathan Law, disqualifié en 2016. Mais Pékin a fait invalider sa candidature en l'assimilant à une indépendantiste. «On sert d'exemple pour créer une forme de terreur blanche et faire comprendre aux gens qu'ils ne doivent pas s'opposer», commente la militante de 21 ans, appuyée sur un bout de table jonché de papiers de bonbons. Le siège de Demosisto, le parti qu'elle a cofondé, a des airs de foyer d'étudiants. Des militants bouquinent sous des couettes, d'autres discutent, vautrés sur des canapés-lits. Parmi eux, on reconnaît Joshua Wong et Nathan Law, deux figures de la «révolte des parapluies» de 2014.

Agnès Chow les connaît depuis 2012. Alors «collégienne sans histoire» et passionnée de films d'animation japonais, elle découvre sur Internet leur syndicat étudiant, Scholarism. Elle s'engage avec eux contre une réforme de l'éducation impulsée par Pékin, que les lycéens dénoncent avec des milliers d'autres Hongkongais comme «un lavage de cerveaux destiné à asservir la jeunesse». Elle n'a pas 15 ans. La réforme est enterrée. Agnès Chow gagne sa première bataille politique. Deux ans après, elle est de toutes les manifestations qui soulèvent 500 000 personnes durant deux mois contre le pouvoir central chinois. En vain. Aujourd'hui, elle et sa bande se présentent comme le renouveau au sein d'une opposition jusqu'alors dominée par des hommes politiques d'un autre siècle. Elle se targue d'avoir appris la politique sur le tas, «sans mentor, ni modèle ni adulte». Mais «le régime communiste prend la jeunesse pour cible», critique l'étudiante au discours rodé : «Il fait comprendre que les meneurs le paieront. Ça en dissuade beaucoup.»

Pas elle. Quand ses «copains Joshua et Nathan» ont été emprisonnés l'été dernier par un pouvoir judiciaire sous la pression de Pékin, elle a dû sortir de l'ombre et renoncer momentanément à ses études en relations internationales pour se lancer dans la course aux législatives. Un engagement pour lequel elle a le soutien de ses parents, chez qui elle vit toujours. Elle est déjà allée plaider la cause de Hongkong au Parlement européen. Pour elle, Demosisto, privé de mandat électoral, doit continuer de jouer la carte internationale. Avec pour atout la sélection de Joshua Wong et Nathan Law pour le futur prix Nobel de la paix.

Avery Ng, l’éternel prévenu

C'est au tribunal qu'on a le plus de chances de rencontrer Avery Ng, 41 ans. «J'y passe beaucoup de temps. C'est presque aussi pénible que d'être derrière les barreaux, sourit le président de la Ligue des sociaux-démocrates, conseiller en fusions-acquisitions dans la vie civile. C'est leur tactique : multiplier les procédures jusqu'à vous rendre fou, à cause du temps et de l'argent perdus.» L'homme, qui prend le temps de discuter dans un café malgré son portable qui n'arrête pas de vibrer, explique comment le pouvoir judiciaire harcèle les opposants. Tous les motifs sont bons, du plus classique, comme «incitation au trouble public», au moins attendu, comme «jet de tee-shirt sur le cortège du président chinois» ou «jet de sandwich sur le chef de l'exécutif». Il écume les tribunaux avec la décontraction des habitués, souvent paternaliste avec les jeunes qui comparaissent à ses côtés. Et quand il n'est pas sur le banc des prévenus, il est encore là pour soutenir d'autres militants car les poursuites sont «beaucoup plus systématiques depuis 2012», année de l'arrivée au pouvoir du président chinois, Xi Jinping.

C'est aussi cette année-là qu'Avery Ng s'est engagé en politique pour défendre les réformes alors en discussions. «Depuis, l'acharnement et la surveillance des militants vont crescendo», assure le quadra, pourtant jovial et détendu. Mais il en faut plus pour dissuader un «hyper-optimiste», comme il se définit. Il affirme qu'il continuera de militer pour plus de justice sociale dans une société aux inégalités croissantes et se battra pour l'instauration du suffrage universel à la place du système archaïque de grands électeurs. Et ce même si «le combat est disproportionné» face à Pékin. La tâche est d'autant plus compliquée qu'à Hongkong, «aucune machine de parti ne vient aider ceux qui se lancent en politique», explique Ng. Les militants travaillent souvent comme avocats dans des ONG ou comme assistants parlementaires.

Revenu à Hongkong en 2009 après des études en Australie, il se dit «chanceux» de n'avoir ni prêt financier ni famille à charge et d'avoir toujours travaillé avec les marchés européens. «Il me serait impossible de travailler avec des entreprises hongkongaises parce qu'ici, toute affaire a trait avec la Chine. Et surtout, aucun client sain d'esprit n'embaucherait un consultant étiqueté comme moi», rigole le grand brun, raie sur le côté et pull fuchsia, harcelé de SMS par son avocat, de messages WhatsApp ou Twitter.

Il travaille quelques jours par mois, consacre le reste du temps à militer et, parfois, à prendre des cours de boxe, «un sport utile». Mais faute de ressources, son parti de 200 membres peine à organiser «des actions radicales du type blocages de rue ou opérations coups de poing comme Greenpeace». La pression est forte. Avery Ng assure changer de carte de transport tous les mois et ne jamais aborder de sujet sensible au téléphone. Il dit avoir été suivi à plusieurs reprises par des membres des triades- la mafia chinoise - et approché par des intermédiaires du régime central désireux d'assurer la communication entre l'opposition et le gouvernement de Pékin. «L'intimidation ne marchera pas sur moi. Dans deux semaines, trois mois, je peux finir en prison, mais je n'ai pas peur.»