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Libération

Avery Ng, l’éternel prévenu

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publié le 3 avril 2018 à 19h36

C'est au tribunal qu'on a le plus de chances de rencontrer Avery Ng, 41 ans. «J'y passe beaucoup de temps. C'est presque aussi pénible que d'être derrière les barreaux, sourit le président de la Ligue des sociaux-démocrates, conseiller en fusions-acquisitions dans la vie civile. C'est leur tactique : multiplier les procédures jusqu'à vous rendre fou, à cause du temps et de l'argent perdus.» L'homme, qui prend le temps de discuter dans un café malgré son portable qui n'arrête pas de vibrer, explique comment le pouvoir judiciaire harcèle les opposants. Tous les motifs sont bons, du plus classique, comme «incitation au trouble public», au moins attendu, comme «jet de tee-shirt sur le cortège du président chinois» ou «jet de sandwich sur le chef de l'exécutif». Il écume les tribunaux avec la décontraction des habitués, souvent paternaliste avec les jeunes qui comparaissent à ses côtés. Et quand il n'est pas sur le banc des prévenus, il est encore là pour soutenir d'autres militants car les poursuites sont «beaucoup plus systématiques depuis 2012», année de l'arrivée au pouvoir du président chinois, Xi Jinping.

C'est aussi cette année-là qu'Avery Ng s'est engagé en politique pour défendre les réformes alors en discussions. «Depuis, l'acharnement et la surveillance des militants vont crescendo», assure le quadra, pourtant jovial et détendu. Mais il en faut plus pour dissuader un «hyper-optimiste», comme il se définit. Il affirme qu'il continuera de militer pour plus de justice sociale dans une société aux inégalités croissantes et se battra pour l'instauration du suffrage universel à la place du système archaïque de grands électeurs. Et ce même si «le combat est disproportionné» face à Pékin. La tâche est d'autant plus compliquée qu'à Hongkong, «aucune machine de parti ne vient aider ceux qui se lancent en politique», explique Ng. Les militants travaillent souvent comme avocats dans des ONG ou comme assistants parlementaires.

Revenu à Hongkong en 2009 après des études en Australie, il se dit «chanceux» de n'avoir ni prêt financier ni famille à charge et d'avoir toujours travaillé avec les marchés européens. «Il me serait impossible de travailler avec des entreprises hongkongaises parce qu'ici, toute affaire a trait avec la Chine. Et surtout, aucun client sain d'esprit n'embaucherait un consultant étiqueté comme moi», rigole le grand brun, raie sur le côté et pull fuchsia, harcelé de SMS par son avocat, de messages WhatsApp ou Twitter.

Il travaille quelques jours par mois, consacre le reste du temps à militer et, parfois, à prendre des cours de boxe, «un sport utile». Mais faute de ressources, son parti de 200 membres peine à organiser «des actions radicales du type blocages de rue ou opérations coups de poing comme Greenpeace».

La pression est forte. Avery Ng assure changer de carte de transport tous les mois et ne jamais aborder de sujet sensible au téléphone. Il dit avoir été suivi à plusieurs reprises par des membres des triades- la mafia chinoise - et approché par des intermédiaires du régime central désireux d'assurer la communication entre l'opposition et le gouvernement de Pékin. «L'intimidation ne marchera pas sur moi. Dans deux semaines, trois mois, je peux finir en prison, mais je n'ai pas peur.»