Même tribunal de Norristown, à 30 kilomètres de Philadelphie (Pennsylvanie), même accusé, même plaignante. Dès ce lundi se rejoue le procès de Bill Cosby, icône afro-américaine et superstar de la sitcom Cosby Show, dix mois après l'annulation du premier procès qui s'était soldé par un «hung jury». En juin 2017, les douze jurés étaient restés divisés, après six jours et plus de 52 heures de délibérations, sur la culpabilité du «père de l'Amérique» déchu, accusé d'avoir drogué avec un puissant sédatif puis agressé sexuellement une ancienne basketteuse, Andrea Constand, à son domicile de la banlieue de Philadelphie, en janvier 2004.
Ces dernières années, plus de soixante femmes ont accusé Cosby de les avoir abusées sexuellement. Mais seul le cas de Constand n'était pas prescrit. L'avalanche d'accusations contre l'acteur, chantre de la droiture morale devenu paria, avait d'ailleurs poussé l'Etat de Californie à ratifier en septembre 2016 une loi supprimant la prescription pour les crimes sexuels – jusque-là, les victimes avaient dix ans pour porter plainte.
«Un climat plus dangereux pour la défense»
Il y aura cependant des nuances de taille dans cette nouvelle saison d'un procès très médiatisé, qui s'annonce plus périlleux pour l'octogénaire dans cette ère post-MeToo qui chamboule l'Amérique depuis l'affaire Weinstein. «Le mouvement MeToo va probablement beaucoup redéfinir ce procès, avec un climat beaucoup plus dangereux pour la défense, avance Melissa Gomez, experte en sélection de jurés basée à Philadelphie, qui a assisté au premier procès. Désormais, on ne doute plus si facilement de la validité d'accusations d'agressions sexuelles simplement parce qu'elles refont surface des années après les faits présumés. Lors du premier procès, la défense a largement fondé son argumentation sur le fait qu'Andrea Constand avait mis des années à raconter son histoire à la police.»
Autre changement d'importance par rapport au premier procès, le juge, Steven O'Neill, a autorisé l'accusation à faire témoigner cinq femmes en plus de l'ancienne coach de basket, qui devraient raconter comment elles ont été, elles aussi, agressées sexuellement par Cosby après l'administration à leur insu du même sédatif, le Quaalude (méthaqualone). «L'accusation va tenter de montrer qu'il y a une "signature", un mode opératoire, le même schéma de comportements, anticipe Melissa Gomez. Les points communs entre les expériences qui seront décrites donneront de la crédibilité à l'accusation.»
Michael Jackson
Autre variation, côté défense cette fois : Bill Cosby s’est adjoint les services d’un nouvel avocat vedette, Tom Mesereau, rendu célèbre en 2005 pour avoir obtenu l’acquittement de Michael Jackson, alors accusé d’attouchements sur des enfants, faisant notamment valoir que les allégations venaient d’individus appâtés par l’argent du chanteur.
C’est à peu près la ligne de défense qu’il devrait prendre pour son nouveau client, si l’on en croit les échos de l’audience préliminaire. Mesereau a en effet obtenu de pouvoir appeler à la barre une ex-collègue d’Andrea Constand, qui affirme que l’entraîneuse s’était vantée de pouvoir gagner de l’argent sur le dos d’une célébrité. Le ténor du barreau de Los Angeles pourrait également révéler au procès la somme qu’aurait touchée Andrea Constand aux termes d’un accord à l’amiable scellé en 2006, restée confidentielle jusqu’ici.
Sélection des jurés
La semaine passée a été consacrée à l’épineuse sélection des douze jurés qui devront décider de la culpabilité de cette figure d’Afro-américain à succès, le premier à avoir montré à la télévision le quotidien d’une famille noire et prospère. Lors du précédent procès, la défense avait obtenu que les jurés soient choisis à l’autre extrémité de l’Etat de Pennsylvanie, dans l’Allegheny County (qui comprend Pittsburgh), au motif que les habitants du comté de Montgomery (celui de la résidence de l’acteur, et donc du tribunal), seraient trop influencés par les gros titres de la presse locale, ou trop partiaux pour juger leur célèbre voisin.
L'accusation avait dénoncé une manœuvre pour obtenir un jury plus blanc, potentiellement plus critique à l'égard de Cosby selon elle, la région de Pittsburgh étant moins diversifiée racialement que celle de Philadelphie. Mais cette fois-ci, ce sont bien des jurés issus du comté local qui siégeront au tribunal. Avec la même composition raciale, finalement, que pour le procès précédent : dix Blancs et deux Noirs, sept hommes et cinq femmes. «La sélection du jury est primordiale, surtout dans un procès comme celui-ci, où l'accusé est une personnalité très connue, insiste Melissa Gomez. Les éléments de preuve et les témoignages passent forcément à travers le filtre de leurs propres expériences et de leur identité.» Leur opinion sur le mouvement MeToo a, d'ailleurs, fait partie des questions posées pendant la sélection, qui s'est achevée jeudi soir.
En juin dernier, le procès avait duré onze jours. Aves les nouveaux témoignages de l’accusation, et la ténacité de la défense, le second pourrait s’allonger sur un mois. S’il est jugé coupable, Bill Cosby, qui a toujours assuré qu’Andrea Constand était consentante, risque jusqu’à trente ans de prison.