Le 14 août 2013, peu après 7 heures du matin, la police égyptienne décide d'évacuer la place Rabia-El-Adaouïa. Depuis quelques semaines, les partisans de Mohamed Morsi, fraîchement évincé par son ministre de la Défense, Abdel Fattah al-Sissi, demandent son retour en occupant cette place de la banlieue du Caire. L'ultimatum a été lancé. Mais le plan d'évacuation pacifique annoncé par le gouvernement tourne vite au massacre.
Selon les manifestants présents sur place, les snipers postés sur les toits des bâtiments environnants tirent sur la foule qui essaye de s'échapper pendant que les bulldozers balayent tout sur leur chemin. Le bilan sera lourd : plus de 2 000 morts et 4 000 blessés selon Human Rights Watch, dont le directeur exécutif Kenneth Roth dénonce alors «une répression violente prévue au plus haut niveau du gouvernement égyptien». Les médias pro-gouvernement accusent les manifestants d'être lourdement armés quand les médias du camp adverse, pro-Morsi, affirment qu'aucun manifestant ne possédait d'armes. Shawkan, jeune photoreporter, couvre la manifestation pour l'agence de photo britannique Demotix. Il est accompagné du journaliste américain Michael Giglio et du français Louis Jammes. Les deux Occidentaux seront relâchés quelques heures plus tard, Shawkan est lui immédiatement emprisonné.
Dépression
Alors que la législation égyptienne prévoit une période maximale légale de détention provisoire de deux ans, il doit attendre 2016 pour être enfin jugé dans un procès collectif, aux côtés de 738 autres accusés, dont la plupart sont des membres des Frères musulmans. Le photographe est sous le coup d'une dizaine de charges parmi lesquelles : meurtre, tentative de meurtre et appartenance à un groupe interdit. Le 3 mars dernier, le parquet égyptien demande la peine maximale, à savoir la mort par pendaison, pour des centaines d'accusés parmi lesquels figure Shawkan, malgré l'absence de preuve. Tous sont poursuivis pour les évènements de la place Rabia-El-Adaouïa, aucun n'a droit à un procès individuel.
Passionné d'image depuis l'enfance, Mahmoud Abu Zeid se met à la photo durant ses études secondaires avant de rejoindre une académie de photographie appartenant à un média égyptien. Il s'exerce alors au photojournalisme pour le compte du journal Al-Ahram à Alexandrie avant de se lancer en indépendant et de prendre le pseudonyme de «Shawkan». Il organise à plusieurs reprises des expositions, dont une réunissant son travail réalisé à partir de 2011 sur la révolution égyptienne qu'il suit depuis ses prémices. L'évacuation de la place Rabia-El-Adaouïa sera son dernier reportage. En prison depuis le 14 août 2013, sa santé se détériore. Shawkan, pourtant de nature joviale, souffre de dépression et d'épuisement moral. Selon son frère Mohamed, il serait également anémique et atteint d'une hépatite C. Sa famille déplore le manque de soins médicaux dont il bénéficie.
Chasse
Depuis son élection du 28 mai 2014, le général Abdel Fattah al-Sissi orchestre une chasse aux journalistes soupçonnés d'être proches des Frères musulmans. Les chaînes de télévision privées sont rachetées par des groupes proches du gouvernement, alors que les journaux sont imprimés par les presses du gouvernement, exerçant ainsi une censure à la source. Un arsenal juridique répressif menace de plus en plus la liberté de la presse. Une loi antiterroriste, adoptée en août 2015, impose aux journalistes égyptiens et étrangers de respecter la version officielle lors des couvertures des attentats au nom de la sécurité nationale et sous peine de prison. Ces atteintes à la liberté de la presse, d'autant plus virulentes pendant la récente campagne présidentielle, placent le pays à la 161e place du classement mondial de la liberté de la presse établi en 2017 par RSF.