Alors qu’elle semblait imminente, la menace d’une riposte militaire contre le régime d’Al-Assad après l’attaque chimique de samedi sur Douma n’a en tout cas pas eu lieu dans la nuit de mardi à mercredi. Mais la journée de mercredi a vu la tension monter encore d’un cran.
L'ampleur, la forme, la durée, les cibles et surtout les risques de l'opération continuent d'être discutés entre Washington, Paris et Londres. Tout en affichant leur détermination à «ne pas laisser l'usage d'armes chimiques se poursuivre», comme se le sont dit Donald Trump et Theresa May mardi soir par téléphone, les Occidentaux temporisent. Car la confrontation avec la Russie sur le dossier syrien s'est durcie.
Soutien indéfectible de Damas, Moscou a opposé mardi soir son veto à un projet de résolution des Etats-Unis visant à créer un mécanisme d'enquête indépendant sur le recours aux armes chimiques en Syrie. L'ambassadeur de Russie au Liban a ensuite prévenu dans la soirée que tout missile américain qui viendrait à être tiré sur la Syrie serait abattu. «En cas de frappe américaine, même les sources d'où proviennent ces missiles seront prises pour cibles», a dit Alexander Zassipkine à la chaîne de télévision du Hezbollah, Al-Manar.
Electrique. Sans formuler les mêmes menaces, le Kremlin a néanmoins mis en garde mercredi contre tout acte en Syrie pouvant «déstabiliser la situation déjà fragile dans la région». Les mises en garde russes ont provoqué une réaction électrique de Donald Trump. «La Russie jure d'abattre n'importe quel missile tiré sur la Syrie. Que la Russie se tienne prête, car ils arrivent, beaux, nouveaux et intelligents ! Vous ne devriez pas vous associer à un animal qui tue avec du gaz, qui tue son peuple et aime cela», a tweeté, mercredi, le président américain, affirmant que les relations avec la Russie n'ont jamais été aussi mauvaises. A quoi le Kremlin a répliqué «ne pas participer à la twitto-diplomatie» et être favorable à des «approches sérieuses».
La veille, aux Etats-Unis, la presse avait rapporté des hésitations de la Maison Blanche sur les modalités des représailles envisagées. Face à ses conseillers miliaires, plaidant pour une opération plus significative que celle des missiles de croisière lancés il y a un an presque jour pour jour après une frappe chimique sur Khan Cheikhoun (nord-ouest de la Syrie), Trump se serait montré réticent. Le Président, qui envisageait il y a une quinzaine de jours de retirer le personnel militaire américain présent dans le pays dans le cadre de la coalition antiterroriste, avait indiqué sa volonté de sortir les Etats-Unis de la guerre syrienne.
Côté français, à la différence de Trump, Emmanuel Macron a pris soin de préciser que d'éventuelles frappes françaises viseraient «à s'attaquer aux capacités chimiques détenues par le régime» et non pas à ses «alliés» : «Nous ne souhaitons aucune escalade dans la région.» Dépendante de Washington pour une intervention militaire, la France veut éviter que la situation ne dégénère avec les Russes. Car les menaces de ces derniers portent, dans l'opinion publique et parmi la classe politique, qui craignent l'engrenage.
Alors que la menace se précise, des responsables politiques français de tous bords disent leur opposition ou leur scepticisme face à d'éventuelles frappes contre le régime. Mercredi, le sujet était à l'ordre du jour de la commission des affaires étrangères. De nombreux députés ont mis en garde contre la tentation d'une expédition punitive qui ne ferait, à leurs yeux, qu'«ajouter de la guerre à la guerre», expression reprise par plusieurs intervenants. Si les élus LFI et LR sont les plus virulents, des critiques sont aussi formulées parmi la majorité, comme le montrent les interventions des députés LREM Sébastien Nadot et Mireille Clapot. Le premier a demandé que «toutes les solutions possibles» soient explorées avant d'«entrer en guerre». La seconde s'est interrogée sur l'authenticité des témoignages venus de Douma : «Attention aux images auxquelles on fait dire ce que l'on veut.»
«Bouton». Devant la commission, l'ancien chiraquien Claude Goasguen (LR) a rappelé les mensonges des Américains sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein en 2003 : «Al-Assad a quasiment gagné la guerre ; quel serait son intérêt de balancer des armes chimiques ?» Fidèle à la ligne fixée l'an dernier par Fillon (priorité au dialogue avec les Russes et Damas) le sénateur LR Bruno Retailleau, sollicité par Libé, se demande «à quoi ont pu servir les 56 missiles Tomahawk» lancés en avril 2017 par les Américains, «si ce n'est à donner bonne conscience à ceux qui pressent le bouton». Pointant «le risque d'escalade», il conjure Macron de ne «pas suivre les Etats Unis». Le vice-président LREM de la commission des affaires étrangères, Jacques Maire, proche de Macron, ne cachait pas mercredi sa «préoccupation», tout en rappelant à ses collègues qu'ils n'auraient pas leur mot à dire - «nous sommes sous la Ve République ; l'armée n'a pas besoin de mandat parlementaire» -, il prend note des «hésitations» de l'exécutif. Qui démontrent, selon lui, qu'il n'y a «pas de bonne solution».