Des élections pas très propres. C'est ce que soupçonnent les partis d'opposition après les législatives de dimanche, qui ont vu le Premier ministre nationaliste Viktor Orbán remporter ses troisièmes législatives d'affilée. Son parti, le Fidesz a obtenu 48,8 % des voix, avec près de trente points d'avance sur le Jobbik (formation d'extrême droite), ce qui lui assurerait une majorité des deux tiers au parlement. Des résultats qui ne seront officiellement publiés que samedi, une fois comptés les votes des Hongrois de l'étranger.
D'ores et déjà, l'opposition s'inquiète de multiples irrégularités. Dans plusieurs centaines de bureaux de vote, 30 % des bulletins de vote pour les listes d'opposition sont invalides, une proportion anormalement élevée. En Hongrie, chaque électeur a deux bulletins de vote, l'un pour un candidat individuel, l'autre pour la liste d'un parti. «Dans un bureau de vote, 400 électeurs ont jeté leur bulletin "individuel" dans l'urne pour notre candidat, Laszlo Varju, mais bizarrement aucun n'a utilisé son deuxième bulletin pour choisir notre parti», note Agnès Vadai, de la Coalition Démocratique (gauche), parti de l'ancien Premier ministre Ferenc Gyurcsany. Miklos Hajdu, candidat du parti socialiste, se souvient très bien d'avoir, en toute logique, voté pour lui-même mais son vote a disparu. Dans plusieurs cas, un parti d'opposition obtient zéro voix, alors qu'un parti bidon se voit crédité de centaines de votes. Une trentaine de partis fantômes – «le parti de la famille», «le parti de l'union», «le parti du Net» sans bureau, ni membres – ont en effet pu participer au scrutin. La loi électorale a permis leur émergence et la Commission électorale dominée par le Fidesz n'a rien fait pour les interdire. «Pourquoi y a-t-il autant d'erreurs, et pourquoi toujours au bénéfice du Fidesz ?», s'interroge Agnès Vadai.
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Fait plus préoccupant : la curieuse panne du système informatique de la commission électorale, survenue dès 10 heures du matin, le jour du scrutin. Impossible d'avoir accès à des données autres que le taux de participation. «Notre système Intranet a continué à fonctionner, c'est l'accès de l'extérieur qui a été touché par la panne», a indiqué Ilona Palffy, membre de la commission électorale nationale.
Après publication des résultats sur le site web de la Commission, les partis de l’opposition les ont comparés à quelques procès-verbaux électoraux que leurs représentants avaient eu la bonne idée de photocopier. Les chiffres ne collaient pas. Ils ont donc requis une copie de tous les procès-verbaux originaux, qui leur a été remise mercredi soir. Les formations d'opposition planchent actuellement jour et nuit sur les documents de 11 000 bureaux de vote, car ils n’ont que jusqu’à mardi prochain pour porter plainte.
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Akos Hadhazy est député du parti centriste d'opposition LMP. Avant de rejoindre le LMP, il était élu municipal du Fidesz, le parti d'Orbán. «Ces politiciens du Fidesz, je sais comment ils fonctionnent, je l'ai vu de l'intérieur. Ils ont établi un fichier de la population, ce qui est tout à fait illégal. J'ai vu cette liste : à côté de chaque électeur figure un code chiffré. Celui-ci contient toutes sortes d'informations personnelles sur le citoyen, indiquant s'il est plutôt proche du Fidesz ou s'il est enclin à voter pour l'opposition.» Selon Hadhazy, le système aurait été éprouvé à partir de 2010. Sur le lieu de vote, un délégué du Fidesz prend discrètement en photo le registre électoral et transmet les infos au siège du parti ; les données y sont comparées à la liste Kubatov et permettent d'évaluer, dès le début du scrutin, où en est le rapport de forces entre le Fidesz et ses rivaux. Celui-ci était-il moins bon que prévu dimanche matin ? Une panne opportune a-t-elle permis de manipuler les données ? Akos Hadhazy ne peut l'affirmer ni le prouver. «A l'heure actuelle, il n'est pas possible de dire s'il y a une fraude organisée», dit-il prudemment.
«Les partis d'opposition ont accepté les résultats dès leur annonce et certains de leurs chefs ont même démissionné. Et maintenant ils contestent ce scrutin !» a rétorqué sur les ondes Balazs Hidvéghi, directeur de communication du Fidesz. Péter Jakab, porte-parole du Jobbik ne doute pas qu'il y ait eu «une fraude organisée au plus haut niveau». Il en veut pour preuve ces milliers de citoyens ukrainiens, serbes et roumains, transportés dimanche en minibus par des équipes du Fidesz pour voter en Hongrie et filmés par des reporters hongrois. La droite d'Orban a donné la citoyenneté assortie du droit de vote aux Magyars vivant dans les pays voisins. Un droit restreint : ces derniers votent en principe au consulat hongrois de Roumanie, d'Ukraine… ou bien par correspondance, et ils n'ont droit qu'à un seul bulletin de vote. Mais récemment des milliers d'entre eux se sont domiciliés en Hongrie, dans les villages frontaliers de l'Ukraine et de la Roumanie. Des adresses « boîte aux lettres » avec parfois une centaine de personnes enregistrées dans le même logement. Un truc qui a permis à ces citoyens voisins de venir mettre 2 bulletins dans l'urne, au lieu d'un. «Tout le système est manipulé. Même à la fin du communisme, les élections étaient plus libres qu'aujourd'hui!» observe Zoltan Toth, ancien président de la Commission électorale (1988-1997), et qui supervisa les premières élections libres de 1990.
Si la fraude est avérée, elle ne remettrait pas en cause la victoire du Fidesz qui a gagné avec 1,5 million de voix d'avance sur le Jobbik. «Mais le Fidesz n'aura peut-être pas la majorité des deux tiers des sièges au parlement», souligne le porte-parole du Jobbik.