«Les menaces de bloquer Telegram s’il ne fournit pas les données personnelles de ses utilisateurs ne mèneront à rien. Telegram se battra pour la liberté et la confidentialité», affirmait sur Twitter Pavel Dourov, le fondateur de la messagerie cryptée, le 20 mars. Et pourtant, la justice russe a ordonné vendredi le blocage du réseau de communication dans le pays.
Le milliardaire de 33 ans, aussi à l'origine de VKontakte, le Facebook russe, et les représentants de la société ont préféré ne pas assister à l'audience qu'ils ont qualifiée de «farce». Et l'avocat de la messagerie, Pavel Tchikov, a dénoncé une décision qui «démontre une nouvelle fois que la justice sert fidèlement les intérêts du pouvoir, sans se préoccuper de préserver un semblant d'apparence». L'agence de régulation des communications et des médias Roskomnadzor avait saisi la justice la semaine dernière, à l'issue d'un long bras de fer entre les services spéciaux (le FSB) et la messagerie sécurisée.
Amende de 800 000 roubles
Les ennuis commencent en juin 2017. Telegram est menacé de blocage une première fois, alors son fondateur accepte d'enregistrer la messagerie comme diffuseur d'information en Russie, ce qu'il avait refusé de faire jusque-là. Ce statut l'oblige toutefois à rendre des comptes : à la fin de l'été, le FSB demande à avoir accès aux données des utilisateurs en prétextant l'attentat qui a fait 16 morts en avril 2017 dans le métro de Saint-Pétersbourg. Les terroristes auraient utilisé l'application pour «dissimuler leurs plans criminels». Telegram tient tête et en octobre 2017, la messagerie est condamnée à une amende de 800 000 roubles, près de 20 000 euros à ce moment-là. Souvent pointé du doigt après des attentats terroristes, le réseau de communication a bloqué plus de 6 000 comptes, rien qu'en mars.
Telegram compte plus de 200 millions d’utilisateurs dans le monde, et entre 2,4 et 4,8 millions en Russie, où c’est devenu bien plus qu’une messagerie, un outil d’information à part entière. Un véritable réseau s’est tissé autour de l’application : journalistes, blogueurs et experts peuvent rassembler plusieurs milliers d’abonnés sur leurs chaînes. Telegram a pris énormément d’ampleur dans le pays, le bannir en Russie ne sera pas facile.
Moyens de contournement
Le blocage de l’application a déjà poussé les utilisateurs à trouver des moyens de contourner la censure. Le site d’information indépendant russe, Meduza, a rapporté que l’application Opera VPN faisait partie des applications gratuites les plus téléchargées sur l’AppStore, quelques heures après l’annonce du tribunal de Moscou. Cet outil permet de surfer anonymement sur Internet et d’éviter ainsi les blocages géographiques.
Telegram est le second grand réseau social à être bloqué en Russie après LinkedIn en 2016, pour avoir violé une loi qui exige que les données des utilisateurs russes soient stockées sur des serveurs sur le territoire russe. L’avocat de la messagerie compte faire appel et insiste sur le fait que techniquement l’entreprise n’est pas en mesure de fournir les clés de chiffrement, stockées sur les appareils des utilisateurs, comme l’exigent les autorités. En attendant, le Kremlin, qui utilise Telegram, notamment pour être en contact avec les médias, devra lui aussi trouver un autre moyen de communication sécurisé.