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Espagne

Agression de deux gardes civils en 2016 : la Navarre prend fait et cause pour les «huit d'Altsasu»

Des milliers de personnes étaient réunies samedi à Pampelune pour soutenir ces huit jeunes passibles de plusieurs dizaines d'années de réclusion. Alors qu'ils plaident la simple altercation, la justice espagnole, elle, y voit un acte terroriste.
publié le 16 avril 2018 à 19h27

Soixante-deux ans et demi de prison pour une bagarre dans un café : c'est la peine démesurée requise par l'Audience nationale, la cour espagnole qui juge les affaires d'ampleur nationale dont le terrorisme, contre l'un des «Huit d'Altsasu». Les Huit d'Altsasu ? Sept hommes et une femme arrêtés pour avoir passé à tabac, en octobre 2016, deux gardes civils et leurs compagnes, et dont le procès s'est ouvert ce lundi près de Madrid. Les autres inculpés risquent entre douze ans et demi (pour la seule femme du groupe) et cinquante ans de prison (pour les six autres hommes). Samedi, à Pampelune, la plus importante manifestation jamais vue en Navarre – entre 35 000 (selon la préfecture) et 50 000 personnes (d'après l'organisation) – s'est déroulée pour exiger «un jugement impartial».

Harceler et intimider les représentants de l’Etat espagnol

Ce 15 octobre 2016, les deux agents des forces de l'ordre, hors service, et leurs compagnes s'attardent dans un café d'Altsasu, une ville de 8 000 habitants en Navarre. Les débits de boissons restent ouverts tard en raison d'une fête locale. Des insultes fusent lorsque l'un des gardes est reconnu par un passant. Plus tard, vers 4 heures du matin, une vingtaine de jeunes s'en prend aux deux couples, suivant la version retenue par l'instruction. Un des agents écope d'une cheville fracturée, l'autre de contusions. Les deux femmes sont en état de choc psychologique. «Dégagez, on devrait vous tuer, txakurras», auraient lancé les agresseurs présumés. Le mot txakurra («chien» en langue basque) est politiquement très connoté : c'était le terme consacré dans le vocabulaire d'ETA pour désigner ses ennemis. L'organisation séparatiste a renoncé en 2011 à la lutte armée, et a remis ses armes à la justice française en début d'année. Son autodissolution pourrait intervenir avant l'été.

L'acte d'accusation des juges de l'Audience nationale lie les faits d'Altsasu avec une campagne lancée plusieurs années auparavant par ETA, sous le mot d'ordre Alde Hemendik («hors d'ici»), destinée à harceler et à intimider les représentants de l'Etat espagnol en Navarre et au Pays basque. Or les accusés nient tout lien avec cette campagne. Plusieurs affirment n'avoir pas mis les pieds dans le bar ce soir-là, d'autres invoquent des souvenirs flous en raison de leur état d'ébriété.

La juge de l’Audience nationale qui mène les poursuites n’est autre que Carmen Lamela, qui avait été chargée en octobre du dossier des dirigeants indépendantistes catalans. Elle avait décidé des premières incarcérations, avant d’être dessaisie au profit du Tribunal suprême de Justice, et d’un juge tout aussi intransigeant qu’elle : Pablo Llarena.