Le 16 octobre, quelques minutes après que la journaliste maltaise, Daphne Caruana Galizia, quitte le domicile familial, son fils entend une explosion. Rapidement, il comprend que sa mère a été assassinée. Une bombe a été posée sous sa voiture. Depuis la mort de cette journaliste indépendante, certains de ses confrères se sont engagés à poursuivre ses enquêtes. C'est le but du «Projet Daphne» lancé par Forbidden Stories.
Corruption et blanchiment
Daphne Caruana Galizia, 54 ans, était à la fois la journaliste la plus célèbre et la plus controversée de Malte. Editorialiste politique dans les années 90, elle tient ensuite un blog intitulé «Running commentary» et lu par des milliers de Maltais. Environ 400 000 pages sont lues chaque jour, dans un pays dont la population ne dépasse pas les 450 000 habitants.
Clairement opposée au Parti travailliste et au Premier ministre de Malte, sur lesquels elle enquêtait régulièrement, elle n'était pas pour autant tendre avec son adversaire, le Parti nationaliste. Avant sa mort, la journaliste travaillait sur la corruption et le blanchiment d'argent à La Valette, la capitale de Malte, ses sujets de prédilection. Caruana Galizia avait notamment collaboré avec le Consortium international de journalistes d'investigation sur les Panama papers.
Empêcher l’enquête de disparaître
Depuis son décès, c'est un autre consortium journalistique qui a pris le relai de ses enquêtes. C'est la mission que s'est fixée Forbidden Stories. «La mort d'un journaliste ne doit jamais être considérée comme un fait divers isolé […], c'est aussi la mort de son travail et la mort de son enquête», expliquait Laurent Richard, à l'origine de cette fondation, sur France Inter en novembre.
Il s'agit pour ce journaliste français, rédacteur en chef de Premières lignes (la société de production de Cash investigation), «d'adresser un message fort aux ennemis de la presse, en disant que ça ne servira à rien de s'en prendre [à un journaliste] parce que, derrière, il y a 10, 20, 30 journalistes qui sont prêts à prendre le relais.»
Forbidden Stories peut être contacté par des journalistes qui se sentent menacés via la messagerie sécurisée Signal, les mails chiffrés PGP et le système SecureDrop. En envoyant leurs documents sur cette plateforme, des journalistes s'assurent que leur enquête ne disparaîtra pas s'il leur arrive quelque chose. Les premières publications de la fondation concernaient le narcotrafic au Mexique, après l'assassinat de Cecilio Pineda (en mars 2017) puis de Javier Valdez (en mai 2017).
Journalisme collaboratif
Un groupe de 45 journalistes de 18 médias différents a enquêté pendant cinq mois sur la mort de Daphne Caruana Galizia et les documents qu'elle avait laissés derrière elle. Le Monde, France 2 (et Premières lignes) ainsi que Radio France représentent la France dans ce consortium qui souhaite mettre en avant le journalisme collaboratif.
Toute la semaine, les médias partenaires de Forbidden Stories vont dévoiler le résultat de leur travail. Les articles déjà publiés concernent les circonstances de la mort de Daphne Caruana Galizia. Son mari et ses fils témoignent des pressions que la journaliste subissait peu de temps avant sa mort dans une vidéo publiée par le Guardian.
Si trois hommes ont bien été arrêtés par la police maltaise, la famille de Daphne Caruana Galizia reste persuadée qu'ils n'étaient que les exécutants et pas les têtes pensantes de l'opération. La liste des personnes susceptibles de vouloir sa mort est longue : du Premier ministre maltais, Joseph Muscat, au ministre de l'Economie, Chris Cardona, pointé du doigt par les proches de la journaliste.
L'autre volet de l'enquête de Forbidden Stories s'intéressera à la corruption maltaise. Une impressionnante quantité de fichiers, 680 000 en tout, avaient été récoltés par Daphne Caruana Galizia dans les derniers mois de sa vie. D'après le Guardian, «Projet Daphne» va exposer «les dangers que la corruption de la politique maltaise ainsi que le blanchiment d'argent présumé font peser pour la loi et l'ordre en Europe».