Depuis le scrutin du 4 mars qui a vu la victoire du Mouvement Cinq étoiles (M5S, 32 % des suffrages), Luigi Di Maio, le leader de la formation antisystème, avait expliqué avoir deux fers au feu. Pour dégager une majorité au Parlement et former un gouvernement, le jeune dirigeant étoilé avait indiqué être disposé à ouvrir des négociations avec la Ligue, le parti d’extrême droite dirigé par Matteo Salvini (17 % aux élections) aussi bien qu’avec le Parti démocrate (PD, 19 %). Après cinquante jours de tractations, c’est la seconde option qui est privilégiée.
Le chef de l'Etat, Sergio Mattarella, a confié lundi au président de la Chambre des députés, Roberto Fico (M5S), le soin de vérifier si un accord entre les Cinq Etoiles et le PD était praticable. Ce dirigeant historique du mouvement fondé par Beppe Grillo, qui représente l'aile gauche de la formation, a jusqu'à jeudi pour travailler sur cette hypothèse. La semaine dernière, le président de la République avait, en vain, confié une mission similaire à la présidente du Sénat, Maria Elisabetta Alberti Casellati, pour tester un accord de l'autre côté de l'échiquier politique, entre le M5S et la coalition de droite et d'extrême droite - qui réunit principalement la Ligue, Forza Italia et les nationalistes de Fratelli d'Italia - sortie en tête aux élections avec 37 % des voix. Mais le projet a avorté en grande partie sur la question Berlusconi. Le M5S était prêt à aller au gouvernement avec Matteo Salvini mais sans l'homme d'affaires, considéré par les militants comme un représentant de la vieille politique et un «corrompu». «Silvio Berlusconi est le mal absolu», a fustigé début avril Alessandro Di Battista, le responsable le plus populaire des Cinq Etoiles, tandis que Luigi Di Maio invitait en écho le leader de la Ligue à abandonner son allié de Forza Italia. Ce que Matteo Salvini a finalement refusé de faire.
«Chiottes»
Une rupture risquait de mettre à mal les majorités qui permettent à la droite et à l’extrême droite de gouverner ensemble de nombreuses collectivités locales dans le nord du pays. De plus, en cas d’accord entre la seule Ligue et les Cinq Etoiles, Matteo Salvini, en tant que chef de la coalition, risquait de se retrouver certes partenaire, mais minoritaire au sein du gouvernement.
En dernier ressort, le patron de la Ligue a bien tenté de demander à Berlusconi de se mettre personnellement en retrait pour permettre un accord entre la coalition de droite et d'extrême droite et le M5S, mais le Cavaliere a refusé net et s'en est pris durement aux Cinq Etoiles : «Ils représentent un danger pour l'Italie. […] Ce ne sont que des chômeurs qui éprouvent de la haine sociale. […] Ce sont des bons à rien. A Mediaset, je les prendrais pour nettoyer les chiottes.»
«C'est terminé avec Salvini, bonne chance», a conclu ironiquement Luigi Di Maio, constatant lundi le refus du dirigeant de la Ligue de dire «ciao» à Berlusconi, trois jours seulement après avoir déclaré : «Avec Salvini, on peut faire du bon boulot pour le pays.» Désormais, changement de cap : les discussions s'ouvrent avec le centre gauche.
«Sang»
Du point de vue programmatique, un rapprochement est en cours. Luigi Di Maio a confié à un groupe d'experts le soin de travailler sur la convergence des programmes, avec comme priorité la lutte contre la pauvreté. Par ailleurs, le M5S a profondément remanié sa ligne sur la politique étrangère. Il y a encore quelques semaines, les Cinq Etoiles évoquaient par exemple «le désengagement de toutes les missions militaires de l'Otan». Il n'est plus question aujourd'hui que «d'ouvrir une table de discussions au sein de l'Otan». De même, la direction du M5S ne parle plus de sortie de l'UE ou de la monnaie unique. «Oui aux discussions avec les Cinq Etoiles. On ne peut pas se contenter de dire non», a estimé le ministre des Biens culturels et poids lourd du PD, Dario Franceschini. Lui estime, comme plusieurs autres dirigeants, qu'il faut dialoguer avec eux.
Ce n'est pas la ligne de Matteo Renzi, pour qui les démocrates ne peuvent servir de «béquille» à un mouvement populiste qui les a copieusement insultés. «Les Cinq Etoiles et la droite représentent l'opposé de nos valeurs. Ils sont antieuropéens, antipolitiques, ils utilisent un langage de haine. Ils ont dit que nous étions des corrompus, des mafieux, et que nous avions les mains pleines de sang à cause de l'immigration. […] Qu'ils fassent ensemble un gouvernement, nous sommes à l'opposition», a lancé Matteo Renzi dès le mois de mars. Ce dernier pourrait faire obstacle à un accord PD-M5S, qui n'est pas soutenu non plus par les militants étoilés. Seuls 24 % d'entre eux seraient favorables à une telle solution et 58 % préfèrent un pacte avec la Ligue. En cas d'échec de la mission exploratoire de Roberto Fico, le chef de l'Etat, Sergio Mattarella, pourrait opter pour un gouvernement institutionnel comme solution de repli.