Menu
Libération
Reportage

En France, la crise politique arménienne agite la diaspora

La transition politique est suivie de près par les Arméniens de France, après le démission, lundi, du chef du gouvernement Serge Sarkissian, et la mobilisation de milliers de manifestants à Erevan, pour demander le départ du pouvoir du Parti républicain.
Des supporteurs de l'opposant Nikol Pachinian, à Erevan, le 26 avril. (AFP)
publié le 27 avril 2018 à 12h53

Tehinaz Mamikon, qui tient avec son mari le restaurant de la Maison de la culture arménienne, à Paris, a pleuré le 13 avril 2018, premier jour des manifestations à Erevan, la capitale de l'Arménie. Elle a eu peur que la contestation tourne à l'émeute. Elle se souvient des protestations contre l'élection de Serge Sarkissian comme Président en 2008. Dix personnes, parmi lesquelles deux policiers, avaient été tuées. Mais voilà maintenant près de deux semaines que Tehinaz Mamikon suit les manifestations en Arménie et il n'y a eu aucun débordement. La «révolution pacifique» de Nikol Pachinian, le député de l'opposition à l'origine du mouvement, continue.

Cette femme souriante d'une cinquantaine d'années se dit «Arménienne de Géorgie» et observe de très près tout ce qu'il se passe à Erevan grâce à l'ordinateur posé à côté d'elle où tourne en continue la télévision arménienne. On voit à l'écran les milliers de manifestants qui ont répondu à l'appel de Nikol Pachinian jeudi 26 avril pour contraindre le Parti républicain à «capituler devant le peuple». La suite des événements préoccupe Tehinaz Mamikon, qui prépare des lasagnes au fromage pour le déjeuner, le petit pays du Caucase ne doit «pas perdre l'équilibre». Admirative, elle salue tout de même «la grande force du peuple arménien». «Vous savez, ils ont été très marqués par le génocide et depuis ils ont été très sages. Mais le peuple souffre, c'est pour cela qu'ils sont en colère. Quand je vais en Géorgie, dans des familles, je vois bien qu'ils sont pauvres même s'ils sont très riches culturellement.» «Nous, on est en France alors quand on se rend là-bas, on voit la différence. Il y a beaucoup de souffrance sociale en Arménie», ajoute-t-elle.

La cuisine du restaurant de la Maison de la culture arménienne, à Paris. Photo 
Aurélia Abdelbost.

«Les Arméniens ont changé la donne»

Son mari, Mamikon Hrakelian, se joint à la conversation tout en préparant des galettes pour le déjeuner : «Chaque révolution est une bonne chose, il faut que ça continue en Arménie», affirme-t-il. «Avant, la loi c'était celle de l'argent mais les Arméniens ont changé la donne et ont dit : la loi c'est nous», poursuit-il, exalté, avec en fond les bruits de klaxon qui viennent tout droit de l'ordinateur qui diffuse les manifestations. «La jeunesse arménienne [très active lors des manifestations, ndlr] n'a pas vécu le communisme et n'a connu que Serge Sarkissian au pouvoir, alors ils veulent du changement», explique-t-il. Puis il se lance dans un débat animé, en géorgien et en arménien, avec une amie d'environ quarante ans qui passe par là, visiblement d'un avis contradictoire. Elle lui répond : «En Arménie, même les enfants en couche-culotte se prennent pour des politiciens», avant de s'en aller. «On débat beaucoup autour de ce qui se passe en Arménie ici», précise Tehinaz Mamikon. Les gens passent tour à tour dans la cantine, moins pour manger que pour discuter.

Si les deux restaurateurs comprennent pourquoi les manifestants ont été si nombreux — des dizaines de milliers —, ils avouent qu'ils ne s'attendaient pas à ce que les événements prennent une telle ampleur. «Personne ne croyait vraiment que Nikol Pachinian pouvait réunir autant de gens», remarque Tehinaz Mamikon. «Pachinian s'est désigné lui-même leader des manifestations et la foule a suivi, je dis bravo», lâche Garo Koranian, un cinquantenaire syrien. «En France, on a la chance de voir d'autres démocraties, on compare et ça donne des idées pour l'Arménie», souffle-t-il. Né à Alep, il se sent très impliqué et appelle régulièrement sa famille qui habite à Erevan pour se tenir informé des événements.

«Ils ont fait la révolution, si le peuple vote, j'espère bien que le résultat va changer», s'exclame-t-il à propos d'élections législatives anticipées, demandées par Nikol Pachinian pour renverser la majorité parlementaire du Parti républicain. Mais il espère surtout que les choses vont se jouer à la table des négociations et qu'il n'y aura pas de violences. D'autant plus, qu'il a peur que l'Azerbaïdjan profite d'éventuels moments de faiblesse de l'Arménie : «On est en guerre», insiste-t-il. Les deux pays voisins sont en conflit depuis plus de vingt-cinq ans sur la question du Haut-Karabagh. «Il faut absolument un homme fort au pouvoir», s'inquiète-t-il.