Menu
Libération
Elections

En Tunisie, la démocratie prend des couleurs locales

Les premières municipales démocratiques, ce dimanche, marquent une étape importante dans l’évolution du pays, sept ans après la révolution. Les poids lourds Nidaa Tounes et Ennahdha affrontent une multitude d’indépendants. «Libération» a rencontré plusieurs têtes de liste de la région de Tunis.
Des militants et sympathisants d’Ennahdha à Ariana, ville du Grand Tunis, jeudi. (Photo Augustin Le Gall. Haytham)
publié le 4 mai 2018 à 20h26
(mis à jour le 4 mai 2018 à 20h26)

C’est la fin d’un cycle entamé le 15 janvier 2011, quand la Tunisie s’est réveillée sans Zine el-Abidine Ben Ali. Dimanche, 5,1 millions de Tunisiens sont appelés aux urnes pour élire librement leurs représentants municipaux. Tout un symbole pour un pays qui a toujours vécu sous le contrôle étroit du pouvoir central. A l’époque de Ben Ali, les municipalités n’étaient que des relais (plus ou moins efficaces) des directives venues d’en haut ; pour la première fois, en 2018, la démocratie est censée «descendre» à l’échelon local.

La révolution tunisienne a pris sa source à Sidi Bouzid, une ville de province longtemps délaissée par l’Etat. En amorçant sa décentralisation (un code des collectivités locales a été voté la semaine dernière), la Tunisie commence à répondre au cri de ces oubliés du pouvoir : ce scrutin vient rappeler que sept ans après le renversement du régime, le processus de transition n’a pas déraillé, malgré ses nombreux accidents de parcours.

«Café»

Pour toutes ces raisons, les élections municipales auraient pu être une fête. Il n'en est rien. Dans les rues de Tunis, le désintérêt pour la campagne saute aux yeux. Les tracts distribués à la volée finissent souvent leur course sur la chaussée, réduits à l'état de boulettes. Beaucoup d'habitants ignorent jusqu'à l'existence du scrutin. D'autres, encore plus nombreux, ont sciemment décidé de ne pas se déplacer. «Ou alors ils changeront d'avis à la dernière minute, devant leur café, c'est la manière tunisienne», veut croire un candidat. Le taux de participation risque d'être deux fois plus faible qu'aux législatives de 2014 (68 %), selon plusieurs sondages. «Déçu» est le mot qui revient le plus souvent chez les électeurs quand on évoque le scrutin de dimanche. Déçus, en premier lieu, par les deux grandes forces politiques de Tunisie. Le parti musulman conservateur Ennahdha, après son triomphe inattendu en 2011, a reculé. Pour les municipales, il tente désormais de lisser son image en intégrant sur ses listes 50 % de candidats indépendants. Déçus aussi par Nidaa Tounes, le parti du président Béji Caïd Essebsi, 91 ans, qui, après avoir mobilisé une grande partie de l'électorat contre l'épouvantail islamiste en 2014, s'est allié avec Ennahdha pour gouverner. Un compromis vécu comme une «trahison» par la base de Nidaa Tounes.

Déçus, surtout, par le piteux état de l'économie tunisienne. Les manifestations, puis les émeutes, qui ont éclaté en janvier pour protester contre l'austéritaire loi de finances et la cherté de la vie sont venues rappeler l'échec, sur ce plan, des sept gouvernements qui se sont succédé depuis le départ de Ben Ali. Aux côtés de la «liberté», la «dignité» était l'une des revendications principales des manifestants de 2011. Celle de vivre d'un revenu décent, de trouver un emploi déclaré, d'exercer une activité en rapport avec son niveau de qualification. Ici, la révolution n'a pas apporté le changement espéré.

Mobilisation citoyenne

Pourtant, les élections municipales - quel que soit le vainqueur du scrutin, et même l'ampleur de la participation - ont été le moment d'un déclic, fondamental quoique peu visible : c'est au niveau des candidats qu'il fallait observer cette campagne. Quelque 860 listes indépendantes (sur 2074) se sont constituées à travers le pays. Certaines d'entre elles sont des faux nez des partis, mais beaucoup sont l'expression d'une mobilisation citoyenne à l'échelle locale. Ce bouillonnement est une nouveauté. A tel point que les grandes formations politiques s'en inquiètent : «Le plus grave pour nous, ce serait que ces indépendants arrivent en tête, cela marquerait un désaveu terrible», confiait un responsable d'un parti national cette semaine.

La composition des listes a donné du fil à retordre aux candidats. Les règles électorales leur imposaient de remplir une obligation de parité (avec une alternance homme-femme) et de comprendre au moins trois jeunes de moins de 35 ans. Elles devaient aussi inclure une personne handicapée, sous peine d’amende. Le mode de scrutin, proportionnel à un tour (avec un seuil de 3 % des voix), empêchera dans la plupart des cas la mainmise d’un seul parti sur les municipalités.

En Tunisie plus qu’ailleurs, le paysage politique évolue et se recompose à grande vitesse. C’est le propre des périodes de transition démocratique. Le résultat de dimanche sera donc analysé comme un test grandeur nature avant les échéances législatives et présidentielle de 2019. La campagne des municipales s’est déroulée dans une relative indifférence, mais aussi, il faut le souligner, dans un climat apaisé. Après des années de tension extrême, voire de violences politiques, elles auront au moins le mérite, si tout se passe bien dimanche, d’offrir un moment de répit au pays.

Fadhel Moussa, Al-Adhal (indépendant) : «Le potentiel exceptionnel de l’Ariana»

Son grand œuvre est la Constitution de 2014. Fadhel Moussa, doyen de la faculté des sciences juridiques, ex-membre de l'Assemblée constituante, y revient sans cesse. Il peut en réciter des articles entiers, l'œil soudain allumé. «Extraordinaire», «unique au monde», «très fort», s'emporte le professeur. «Je veux l'appliquer, je veux tester tout ça», ajoute le candidat. Les nouvelles compétences des municipalités, leur autonomie, leurs ressources, l'enthousiasment : la démocratie atteint enfin l'échelon local, l'une des revendications de la révolution. Il promet de pousser l'expérience jusqu'au bout s'il est élu, en instaurant un budget participatif et en s'appuyant sur le réseau d'associations de la société civile qui le soutient.

Fadhel Moussa se présente dans l'Ariana, banlieue de la classe moyenne du nord de Tunis, sur une liste indépendante. Son petit local de campagne donne sur la terrasse d'un café branché. «Je ne veux pas me contenter de parler aux électeurs des nids de poule et des ordures ; c'est le service minimum d'une municipalité», s'agace le militant poivre et sel. Lui évoque plutôt une «vision», le «potentiel exceptionnel» de la «smart city» que pourrait devenir l'Ariana. Il dit être bien accueilli partout où il passe, mais n'est pas dupe pour autant : «Dire une parole gentille, ça ne présage en rien du bulletin de vote…» Le faible score d'Ennahdha à l'Ariana lors des précédents scrutins et la «pente descendante» de Nidaa Tounes lui laissent un peu d'espoir. «Notre principal problème, c'est l'éparpillement des voix», reconnaît-il. Treize listes (dont huit indépendantes) sont en lice. L'ancien scout rêve d'une alliance entre les indépendants pour ravir la municipalité aux deux poids lourds. Une façon, selon lui, de sortir de la bipolarisation politique tunisienne : «Il faut montrer que c'est possible pendant qu'il est encore temps.»

Hayet Bayoudh, Nidaa Tounes : «Remettre en valeur le patrimoine à Carthage»

Son ton est à la fois posé, concis et légèrement empathique, comme celui d’un médecin s’adressant à un malade. Hayet Bayoudh, tête de liste Nidaa Tounes (le parti du président de la République, Béji Caïd Essebsi) à Carthage, cité historique de 17 000 habitants située au nord-est de Tunis, y a exercé dans le secteur de la santé publique pendant plus de vingt ans.

Ses milliers de patients sont aujourd'hui ses électeurs. La cité punique, devenue à la fois un site touristique, une excroissance huppée de la capitale et le symbole de l'Etat central puisque le palais présidentiel s'y étale sur 40 hectares, est évidemment un fief électoral de Nidaa Tounes. Il ne devrait pas échapper à celle qui se décrit comme une «fille Bourguiba».

Elle jure qu'elle ne voulait pas être numéro 1 sur la liste, composée avant sa nomination et qui compte plusieurs femmes voilées. Hayet Bayoudh est avant tout horrifiée par «la montée de l'obscurantisme», et estime que la Tunisie a «beaucoup perdu en compétences» après la révolution de 2011, avec l'intégration des opposants (notamment islamistes) et le départ de certains cadres de l'administration. «J'ai toujours été contre la ségrégation des anciens du RCD [Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti dissous de l'ancien président Zine el-Abidine Ben Ali, ndlr]», assume-t-elle.

Elle a annoncé vouloir s'attaquer en priorité à la question des constructions sauvages sur le site archéologique (les deux tiers de la superficie de Carthage), en se posant comme médiatrice entre l'Etat et les occupants illégaux. Elle entend «remettre en valeur le patrimoine», et souhaite sortir des cartons le projet de «Carthage capitale culturelle de la Méditerranée», «avec des experts comme pour le Louvre à Dubaï».

Lotfi Ben Aissa, Front populaire : «Il y aura un vote sanction à Tunis»

Il n'y a pas de lumière visible à l'intérieur du vaste siège du Front populaire. La porte est verrouillée, Lotfi Ben Aissa tape timidement au carreau. C'est lui qui conduit la liste de la coalition de gauche à Tunis. Il s'excuse presque de cette morne journée électorale. «La campagne a du mal à décoller, avoue-t-il. Avec ce temps, ça n'aide pas…» Des bourrasques fouettent sa petite moustache blanche tandis qu'il pose pour le photographe devant son utilitaire recouvert d'affiches.

Evoquer le parcours de Lotfi Ben Aissa revient à un cours magistral sur l'histoire de l'extrême gauche tunisienne. Cet ancien responsable de l'administration fiscale, syndicaliste, intellectuel engagé tendance mao, a échappé à la prison lors des vagues de répression de l'ère Bourguiba. La révolution survenue en 2011 l'a pris au dépourvu. «J'étais dans la rue le 15 janvier [au lendemain de la fuite de Ben Ali, ndlr] et je me retrouvais soudainement en 2040, car personne parmi mes camarades n'imaginait la chute du régime avant cette date. Je n'arrivais pas à y croire», raconte-t-il, les yeux brillants derrière ses fines lunettes.

Lui qui s'était éloigné de la politique replonge à corps perdu. La victoire d'Ennahdha en 2011 lui cause un «choc terrible. C'était le scénario du fascisme vert». Il cherche à faire barrage aux islamistes, mais la «récupération de Nidaa Tounes par Béji Caid Essbesi» l'horripile. Il se présente donc aux législatives de 2014 à Tunis, où il vit depuis quarante ans dans un «trois-pièces de fonctionnaire», sous les couleurs du Front populaire. Il obtient 3 %. Pour dimanche, ses prévisions sont sombres : «Il y aura un vote sanction. Mais il va se traduire par de l'abstention, et cela va nous pénaliser car les grosses machines bien huilées, Ennahdha et Nidaa Tounes, peuvent mobiliser leurs bases.» Le Front populaire vise six sièges (sur 60) dans la capitale.

Zeineb Ben Hassine, Ennahdha : «Un tranquillisant» au Bardo  

Elle est un paradoxe apparent. Zeineb Ben Hassine a tout de la notable de l'ancien régime : son père était gouverneur, elle a dirigé une association de cadres proche du pouvoir, et a même été députée du RCD, la formation de Ben Ali. Elle conduit pourtant la liste Ennahdha (le parti musulman conservateur) dans la circonscription du Bardo, en banlieue de Tunis. La moitié des candidats de la liste sont, comme elle, des indépendants. Les adversaires d'Ennahdha dénoncent une volonté de brouiller les pistes. Zeineb Ben Hassine parle plutôt d'un «accord sur les principes de ce qui fonde notre vie commune, au niveau local», et répète son slogan, «la patrie avant les partis».

Sur le terrain, cette candidature est surtout une alliance de deux savoir-faire électoraux. L'organisation minutieuse d'Ennahdha (ratissage des quartiers, présence d'assistants de communication, motivation des troupes) et l'efficacité des vieux réseaux RCDistes. «Beaucoup d'électeurs qui ne votent pas Ennahdha habituellement me font confiance», affirme-t-elle. La candidate avoue que la campagne de 2018 ne ressemble pas à celles du temps du RCD, où «c'était le décor qui comptait énormément». Elle a déjà participé à une campagne en 1995, «mais en fait nous étions déjà élus. Il s'agissait surtout d'une répartition des compétences», assume-t-elle tranquillement.

Après la révolution, protégée par sa réputation locale, elle a été l'un des rares députés à avoir été «épargné», dit-elle : «J'étais un tranquillisant.» Ennahdha l'a bien compris, qui lui a offert la tête de liste du Bardo, quartier connu pour abriter le Musée national et l'Assemblée. Si elle gagne, Zeineb Ben Hassine promet d'y développer un «circuit touristique» pour attirer les visiteurs hors de l'enceinte du musée, de piétonniser l'avenue principale, et d'offrir une «transparence absolue» sur les activités de la municipalité.

Kamel Idir, tête de liste Nidaa Tounes à Tunis : «Changer la vie de dizaine de milliers de Tunisois défavorisés»

Il a fixé le rendez-vous au bar de l'hôtel Sheraton, «pour la vue sur la lagune Sebkha Séjoumi», dit-il. De la terrasse de l'établissement de luxe, l'un des points culminants de la capitale, on ne distingue pas les replis vaseux de la grande mare qui s'étale au sud-ouest de la ville. A cette distance, elle ressemble au sage lac de Tunis, au nord-est, dont les berges aménagées accueillent des quartiers d'affaires et des logements modernes. C'est l'idée fixe de Kamel Idir : appliquer à la lagune Sebkha Séjoumi la recette du lac de Tunis : remblayer, assainir, viabiliser, planter, construire… «On parle de changer la vie de dizaine de milliers de Tunisois défavorisés», assure le candidat de Nidaa Tounes. Un projet pharaonique (la lagune fait 8 kilomètres de long) à la mesure de son «ambition pour Tunis», vante-t-il.

Kamel Idir est la tête de liste du parti présidentiel dans la circonscription la plus scrutée du pays : Tunis. Issu d'une «famille destourienne» (la formation de l'ex-président Bourguiba), pharmacien de formation, il a été à la tête de la direction générale du médicament (l'un des secteurs les plus performants de l'économie tunisienne) et a déjà passé deux mandats à la municipalité de Tunis, comme vice-président, du temps de l'ancien régime. Mais il doit sa popularité à un tout autre domaine : le sport. Cet ex-handballeur international a dirigé pendant cinq ans le mythique Club africain, et «on [l]'embrasse encore parfois dans la rue pour cette seule raison», avoue-t-il.

Quand Kamel Idir parle, il agite ses doigts et fait voltiger ses gros boutons de manchette dorés. De quoi parle-t-il ? Des «espaces verts» bien sûr, des «start-up» et des «standards internationaux». Mais aussi beaucoup des «jardins d'enfants» publics qu'il veut multiplier pour faire pièce aux «écoles coraniques». En 2011, quand le parti islamiste Ennahda est arrivé au pouvoir, il a vécu «un cauchemar éveillé», raconte-t-il. «J'ai grandi dans un environnement multiculturel, progressiste, qui faisait notre fierté collective, et soudain tout s'effondrait. J'ai vu nos enfants, des diplômés, partir pour la Syrie ! Des assassinats politiques en Tunisie ! C'était impensable…» Il explique avoir rejoint Nidaa Tounes dès 2012 pour «défendre un modèle de société». A Tunis, ce modèle est selon lui celui d'une «ville universelle».

Mouna Mejri Mastoura, tête de liste Front populaire à Menzel Abderrahmane (24 000 habitants) : «On a été bien accueillis presque partout»

Elle a commencé par refuser l'entretien, par peur de mal s'exprimer en français. On s'était imaginé une femme timide, et on avait tout faux. Mouna Mejri Mastoura règne sur son petit local de campagne, à Menzel Abderrahmane, une ville côtière du nord de la Tunisie, en cheffe souriante et débonnaire. La tête de liste du Front populaire (une coalition de partis de gauche) reçoit dans une pièce nue, où se serre son équipe. Dans cette réunion réside déjà, en partie, leur victoire, explique-t-elle : «Ouvrir ce local dans la rue principale, alors que les islamistes nous insultaient et nous menaçaient il y a encore quelques années, c'est une belle chose. Honnêtement, on pensait que la campagne allait être plus chaotique. On a été bien accueillis presque partout et on a pu parler librement.»

Pour la plupart de ses colistiers, très jeunes (12 sur 18 ont moins de 30 ans), cette expérience de la démocratie locale est une première. Parfois enivrante. Leur discours marxisant reste laborieusement théorique, et leur programme se résume à une «meilleure gestion» de la ville. Mais leur volonté de ne pas aborder la lancinante question de l'identité – «Cce n'est pas un sujet pour le parti», tranche un militant zélé, le «camarade et fils» de Mouna Mejri Mestoura – est rafraîchissante dans un paysage politique tunisien dominé par l'affrontement entre islamisme et modernisme.

Le Front populaire vise 4 des 12 sièges de Menzel Abderrahmane, municipalité ouvrière qui a «une longue tradition militante». Les usines de textile ont commencé à battre de l'aile ces dernières années. Chaque famille de la ville a au moins un parent en France : 7 000 personnes originaires de Menzel Abderrahmane vivent dans la région de Toulon. Mouna Mejri Mastoura doit elle-même se rendre à Cannes dans deux semaines… pour le Festival. Elle joue dans un film présenté à la Quinzaine des réalisateurs (Weldi, de Mohamed Ben Attia). La professeur d'arabe classique devra à nouveau parler en français. «Sans angoisse, cette fois, promet-elle. Je serai naturelle, comme quand je parle aux habitants d'ici.»

Moncef Sliti, tête de liste Ennahdha à Ariana : «Ici, personne ne nous parle du voile, on nous interpelle sur des problèmes concrets, les ordures, les parkings, les marchés»

Cette candidature est une forme de revanche pour Moncef Sliti. Ce militant de la première heure d’Ennahdha, qui a rejoint l’organisation islamiste à l’université, dans les années 80, avait fui la Tunisie pour se mettre à l’abri de la police de Ben Ali. Il a séjourné en Arabie Saoudite, cinq ans, puis en France, dix ans, avant de rentrer au pays après la révolution. En 1989, il s’était déjà présenté à une élection en tant qu’indépendant (le mouvement était alors interdit) et avait recueilli 30% des voix dans sa circonscription, selon les chiffres officiels du régime.

Le voilà désormais tête de liste d'Ennahdha dans le quartier de l'Ariana, dans la banlieue de Tunis. «L'élite tunisienne estime que les municipales ne sont pas une élection importante, c'est une grande erreur», dit-il. Son équipe a monté un kiosque à l'angle du marché aux fripes. A l'arrivée d'un journaliste, elle dégage discrètement un «bénévole» un peu trop excité. Les colistiers distribuent des tracts frappés de la colombe (le symbole d'Ennahdha) dans l'allée centrale, essuient parfois un refus poli. Allergie à l'islamisme politique ? «Pas du tout. Personne ne nous parle du voile, de la mosquée ou de la prière, ici, surtout pour des élections locales, affirme-t-il. Les gens nous interpellent sur des problèmes concrets, les ordures, les parkings, les marchés. La religion, ce n'est pas le problème du peuple.»

Selon lui, Ennahdha est en train de se «transformer en un parti normal». Des commerçants sortent de leur boutique pour saluer le candidat en costume. Un cadre du mouvement à la moustache bien taillée passe inspecter l'opération de tractage. «Pour être franc, nous n'étions pas prêts à gouverner, en 2011, lâche Moncef Sliti. Nous étions nous-mêmes surpris du résultat. On a beaucoup appris et la Tunisie aussi. En France, cent ans ont passé entre la Révolution et l'instauration d'une République stable et démocratique. On ne s'en sort pas si mal.»