Depuis septembre, Libération met à la disposition des internautes un site, CheckNews.fr, qui leur permet de poser des questions sur l'actualité à une équipe de journalistes. Notre promesse : «Vous demandez, nous vérifions.»
A ce jour, l'équipe de CheckNews a déjà répondu à plus de 1 220 questions, anecdotiques ou graves, sur des sujets concernant la politique, l'environnement, l'économie, le sport… Parmi les dernières questions (et réponses) : «Une enquête a-t-elle été ouverte à propos du patrimoine de Noël Mamère ?» ; «A quoi fait référence Taubira quand elle parle des 24 000 migrants que la France devrait accueillir ?» Cette fois, notre équipe s'est déplacée en Tunisie à l'occasion des premières municipales libres de l'après-Ben Ali.
L’homosexualité pourrait-elle être dépénalisée si des progressistes arrivent au pouvoir ?
Les maires élus n'ayant pas vocation à modifier le code pénal, les chances que l'homosexualité soit dépénalisée en Tunisie à la suite des élections municipales sont nulles. C'est l'article 230 du code pénal tunisien qui criminalise l'homosexualité, punie de trois ans d'emprisonnement. En français, l'article est : «La sodomie […] est punie de l'emprisonnement pendant trois ans.» Mais la version arabe du texte, qui fait loi, vise directement «l'homosexualité féminine et masculine». Cet article, introduit en 1913 par le protectorat français, a été maintenu par l'Etat tunisien après l'indépendance.
La dépénalisation de l'homosexualité ne semble pas, pour le moment, au programme : à ce jour, seul le parti Al-Massar, formation de centre gauche n'ayant aucun poids réel dans le paysage politique, a publiquement dénoncé le test anal pratiqué sur les homosexuels en Tunisie pour déterminer s'ils sont ou non «coupables». En septembre 2015, Al-Massar avait ainsi appelé les députés à revoir l'article 230 du code pénal, au motif qu'il ne serait pas compatible avec l'article 24 de la Constitution, qui dispose que l'Etat doit préserver la vie privée du citoyen ainsi que son intégrité physique. En septembre 2017, le conseil des droits de l'homme des Nations unies avait recommandé à la Tunisie de cesser immédiatement les examens anaux forcés. Le ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles de la société civile, Mehdi Ben Gharbia, avait alors déclaré que la Tunisie allait le faire. Plusieurs médias tunisiens avaient annoncé, dans la foulée, la fin du test anal. Un peu rapidement. Mehdi Ben Gharbia avait en effet expliqué, une semaine plus tard sur Mosaïques FM, que la Tunisie s'engageait à «arrêter le recours aux tests anarchiques, sans consentement et sans assise légale», mais qu'il faudrait «quatre ans» à la Tunisie pour prendre les mesures nécessaires. Un délai curieux, sachant qu'il suffit d'un amendement voté par les députés pour supprimer cet article 230, et qu'une élection présidentielle aura lieu en 2019.
Concernant la levée de la criminalisation de l'homosexualité, la Tunisie avait en revanche refusé de suivre les recommandations des Nations unies. Questionné par Libération sur une éventuelle réforme du code pénal pour dépénaliser l'homosexualité, Rached Ghannouchi, chef du parti conservateur Ennahdha, se montre très prudent : «L'homosexualité est un crime au regard de la loi tunisienne. Mais je pense qu'il ne revient pas à l'Etat de s'immiscer dans la vie intime des gens.» Faut-il comprendre qu'il serait favorable à une telle réforme du code pénal ? «Je suis pour le respect de la vie privée des citoyens tunisiens», répond-il de façon évasive.
Borhen Bsaies, conseiller politique du parti progressiste Nidaa Tounes, se dit aussi «contre la chasse à l'homme sous prétexte de l'orientation sexuelle des citoyens et citoyennes». Mais interrogé par une fondation allemande, il tempère dans la foulée : «Nous ne sommes plus en 1956. Le pays ne peut être modernisé de façon volontariste et les souhaits de la société civile et des politiques ne peuvent l'emporter sur les contraintes sociales et culturelles. Ce pays a des traditions.»
Question posée par Nizar.
Les candidats aux élections municipales ont-ils le droit de parler à la presse étrangère ?
L'article 66 de la loi n°16 du 26 mai 2014 relative aux élections et aux référendums dispose que «les candidats, les listes de candidats et les partis sont autorisés dans le cadre des campagnes électorales ou pour le référendum à utiliser les médias nationaux ainsi que les médias électroniques. En revanche, il leur est interdit d'utiliser les médias étrangers».
Cet article a récemment fait l’objet d’une demande de clarification dans une lettre du Club des correspondants étrangers en Afrique du Nord (NAFCC) adressée à l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) et à la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica). Lettre restée sans réponse. La question se posait pourtant : en février 2018, l’Isie et la Haica ont signé un accord réglementant la couverture de la campagne des élections municipales par les médias audiovisuels. Et l’article 1 stipulait que cet accord s’appliquait de la même façon aux… médias audiovisuels étrangers.
Interrogé sur le sujet, le service de communication de la Haica a rapidement élucidé le mystère : «C'est la loi de 2014 qui s'applique également cette année et prévaut sur l'accord de 2018, qui ne fait qu'entrer dans les détails.» «Le terme "utiliser" signifie que les candidats [ainsi que les listes de candidats et les partis, ndlr] n'ont pas le droit de donner des interviews ou de parler avec les correspondants étrangers, poursuit la Haica. Les médias étrangers ne sont pas censés couvrir les élections tunisiennes.» Anis Jarboui, membre de l'Isie, nous a confirmé que cela valait autant pour les médias audiovisuels que pour la presse écrite. Mouna Ghariani, membre du conseil de la Haica, nous a précisé que «les noms des candidats qui ont parlé aux correspondants étrangers ont été transmis à l'Isie. Des sanctions sous la forme d'amendes allant de 2 000 à 5 000 dinars seront bientôt prises», conformément à l'article 153 de la loi électorale de 2014.
Question posée par Maryline.
Peut-on organiser des élections sous l’état d’urgence ?
Le 12 mars, l'état d'urgence (en vigueur depuis 2015) a été prolongé de sept mois en raison, selon le ministre de la Défense, Abdelkarim Zbidi, de l'approche des élections municipales, des examens nationaux, du mois de ramadan et de la saison touristique. Le décret de 1978 qui encadre l'état d'urgence n'empêche pas la tenue de rassemblements mais dispose que le ministre de l'Intérieur peut interdire «les réunions de nature à provoquer ou entretenir le désordre» et peut également ordonner «la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boisson et lieux de réunion de toute nature». Dans le cadre de la campagne électorale, tous les événements prévus par les listes candidates (meetings, marches, rassemblements) devaient être déclarés à l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), quarante-huit heures à l'avance, en précisant le lieu, la durée et les moyens utilisés.
«Le nombre d'événements a été croissant au fur et à mesure de la campagne. Au 1er mai, nous étions à environ 20 000 événements, précise Anis Jarboui, de l'Isie. Beaucoup de listes ne les déclarent pas à l'avance, elles reçoivent alors un avertissement écrit ou oral.» Malgré les nombreuses infractions signalées, Anis Jarboui estime que «l'état d'urgence n'a pas affecté le bon déroulement de la campagne», et qu'il ne gênera pas non plus la tenue du vote, dimanche.
La question se pose par contre pour les 138 personnes assignées à résidence du fait de l'état d'urgence. Elles doivent solliciter une autorisation pour sortir et voter. Mais selon Anis Jarboui, «tant que l'individu est inscrit sur le registre, il a le droit de voter». Jeudi, ce dernier précisait qu'«il n'y aurait pas de mesures de sécurité supplémentaires le jour du vote pour ces personnes, sauf si les ministères de l'Intérieur ou de la Défense en décident autrement.»
Question posée anonymement.
Combien y a-t-il de candidats du parti de Ben Ali ?
Le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti fondé par l'ancien président Ben Ali, est l'héritier du parti nationaliste Néo-Destour du premier chef de l'Etat tunisien, Habib Bourguiba. La formation a été au pouvoir depuis l'indépendance, en 1956, jusqu'à la révolution de 2011. Le RCD a été dissous par la justice le 9 mars 2011 puis, dans la foulée, un décret-loi a prohibé aux personnes y exerçant des responsabilités sous l'ère Ben Ali de se porter candidat. En 2012 et 2013, une loi qui prévoyait d'exclure de la vie politique les anciens responsables du RCD a été étudiée, avant d'être abandonnée en 2014. Les anciens «RCDistes» sont désormais autorisés à candidater. Le président, Béji Caïd Essebsi, est un ancien cadre du parti. Plusieurs ex-membres du RCD, aujourd'hui adhérents à différents partis, sont sur les listes de candidats aux municipales. Le chiffre de 80 % a été avancé par Mohamed Ghariani, ex-secrétaire général du RCD. «Je n'ai pas de décompte précis, explique l'homme politique, contacté par CheckNews. C'est une estimation, d'après mon observation des listes. La plupart des partis sont allés au réservoir RCDiste. […] Il s'agit très souvent de stratégies locales, et non pas d'orientations idéologiques.» Selon des chiffres officiels, le RCD comptait 2,3 millions d'adhérents avant la révolution. Leur liste n'a jamais été rendue publique. Il est donc impossible de déterminer combien d'entre eux sont sur les listes des municipales, où se présentent 53 668 candidats dans 350 circonscriptions.
Question posée par Tim.