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Libération
Reportage

Elections en Malaisie : «C’est la victoire que l’on espérait»

publié le 9 mai 2018 à 21h06

«Reformasi, reformasi !» La clameur monte de la rue, où des voitures passent vitres ouvertes avec de grands drapeaux aux couleurs de l'opposition. Cinq heures après la fermeture des bureaux de vote, les résultats défilent sur les téléphones. Partout, la coalition au pouvoir sans interruption depuis 1957, le Barisan Nasional (BN), est écrasée, avec des scores humiliants, 6 200 voix contre 780, 5 500 contre 2 200… C'est un raz-de-marée pour Pakatan Harapan, «l'Alliance de l'espoir», la coalition antigouvernementale.

«Nous souffrons depuis soixante ans, et enfin nous sommes libérés !» s'exclame James, 60 ans, la gorge serrée, dans la foule qui se presse devant le bureau d'enregistrement des voix de Batu, un quartier de la capitale, Kuala Lumpur. La police antiémeute cherche à en interdire l'accès à l'opposition. Le député sortant, Tian Chua, une figure de l'opposition maintes fois emprisonné et qui n'a pu se représenter - il avait été déclaré inéligible il y a dix jours par un tribunal -, veut vérifier que la victoire de son candidat, constatée par ses observateurs dans les bureaux de vote, est bien enregistrée. Il en vient aux mains, se fait bousculer par les forces de l'ordre, qui finissent par le laisser passer. Une ambulance qui cherche à entrer dans la cour est bloquée par la foule, qui craint qu'elle ne transporte des urnes bourrées. Les supporteurs de l'opposition ne la laissent passer qu'une fois les portes ouvertes et l'intérieur exploré. Une voiture officielle se fraye un chemin à grands coups d'accélérateur.

Des dizaines de policiers et soldats arrivent d'on ne sait où, en file indienne. Mais beaucoup ont le sourire aux lèvres. Le résultat du scrutin chez les fonctionnaires, qui votent séparément dans ce pays de 32 millions d'habitants, avait déjà montré qu'ils étaient nombreux à avoir, pour la première fois, bravé les intimidations et voté contre le parti au pouvoir. «Ce soir, nous avons écrit l'histoire, déclare Tian Chua à Libération. Nous allons bientôt pouvoir former un gouvernement. C'est la victoire que l'on espérait, même si tout le monde assurait que nous perdrions encore. Najib [Razak, le Premier ministre, ndlr] n'a plus aucune autorité pour continuer à gouverner.»

Il aura donc fallu quatorze élections générales pour que l’Organisation nationale unifiée malaise (Umno), le parti qui avait négocié l’indépendance avec les colons britanniques, à la fin des années 50, soit enfin battu dans les urnes. Le scandale 1MDB, qui a explosé en 2015, quand une journaliste a révélé que près de 4 milliards d’euros avaient été détournés d’un fonds souverain par le chef de l’Etat et ses proches, a joué un rôle important dans cette défaite. Mais c’est surtout le retour surprise de Mahathir Mohamad, qui fut Premier ministre de 1981 à 2003, aux côtés de l’opposition, qui a renversé la vapeur. A 92 ans, l’ancien homme fort du pays a mené la bataille contre Najib, son ancien dauphin, enchaînant les meetings jusqu’à la dernière minute avec une force surprenante.

Selon la Constitution, le gouvernement était censé laisser le pouvoir aux gagnants dès mercredi soir. Mercredi soir, Najib Razak n’avait toujours pas reconnu sa défaite.