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Libération
Interview

Xavier Guignard : «Israël est obligé de vendre une situation de péril sécuritaire qui n’existe pas»

Pour Xavier Guignard, chercheur et spécialiste de la Palestine, un éventuel conflit armé permettrait à l’Etat hébreu de justifier sa répression sanglante des dernières semaines.
Ivanka Trump lors de l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem, lundi. (Photo Menahem Kahana. AFP)
publié le 14 mai 2018 à 21h06

Xavier Guignard est doctorant en science politique (Paris-I) et spécialiste de la Palestine au sein du collectif Noria.

L’importance de la mobilisation de ce lundi était-elle prévisible ?

Tous les ingrédients étaient réunis. Il y avait un condensé d’événements, avec la réponse répressive d’Israël qui alimente depuis un mois et demi le soutien aux manifestations. Il y a aussi la forme très particulière qu’elles ont prise, avec, pour la première fois à Gaza, des partis qui ne sont pas complètement impliqués. Même s’ils ont tous soutenu le mouvement, les gens sortent manifester sans suivre leurs appels. La mobilisation de lundi était aussi un écho à ce qu’il se passait en même temps à Jérusalem avec le déplacement de l’ambassade américaine. Celui-ci n’était pas suffisant pour susciter de telles manifestations mais il était un additif très puissant. Les manifestations actuelles à Gaza rappellent celles de 2011 dans le monde arabe : on se mobilise sur des vraies questions économiques et sociales. C’est une population extrêmement précarisée qui se soulève contre les conditions de vie provoquées par le blocus. Le politique vient après le social.

Faut-il craindre un nouveau conflit militaire entre Israël et le Hamas, comme en 2012 et 2014 ?

Il y a une attente côté israélien que cela évolue dans ce sens. C'est une dialectique beaucoup plus facile à gérer face aux opinions publiques. L'opinion internationale, pour le peu qu'elle s'intéresse à ce qui se passe, se demande pourquoi il y a autant de morts et de blessés par balle côté palestinien alors que leurs armes les plus puissantes sont des cerfs-volants avec un peu d'essence. Si cela virait à un conflit militaire, Israël aurait les mains libres pour répondre alors qu'aujourd'hui, ils sont obligés de vendre une situation de péril sécuritaire qui n'existe pas. Le Hamas l'a, de son côté, très bien compris. Yahya Sinwar (le chef du Hamas à Gaza) l'a même dit il y a quelques jours, son organisation peut avoir intérêt à négocier et à éviter que ça ne dégénère. Un basculement vers le militaire changerait totalement la nature de la mobilisation. Ce n'est pas que le Hamas soit forcément contre, mais la configuration actuelle est au moins aussi efficace pour lui, et il ne perd pas des dizaines d'hommes dans des bombardements de tunnels. Il n'y a en outre pas de coût politique majeur, à savoir d'être celui qui a déclenché un conflit.

Y a-t-il des négociations entre le Hamas et Israël pour établir une trêve, comme l’évoque la presse israélienne ?

C’est probable, cela a déjà été évoqué par le passé. Tout comme la terminologie employée : une «trêve» pour une durée de dix à vingt ans. Le Hamas a changé de registre ces dernières années. Il est au moins favorable à une négociation pour pouvoir continuer à exister si le blocus était levé. Les manifestations actuelles n’auront pas d’incidence. Des deux côtés, les interlocuteurs demeurent. Sinwar a longtemps été présenté comme un fou furieux alors qu’il est l’un des plus pragmatiques au sein de la direction du Hamas. C’est pareil côté israélien, des responsables sont persuadés qu’il faut négocier.

Quelles conséquences pourraient avoir les manifestations à Gaza sur le processus de réconciliation entre le Hamas et le Fatah ?

Ce processus est moribond. Il a toujours été un serpent de mer et le Fatah a toujours tout fait pour le saboter. Le processus concerne deux partis qui n’ont de toute façon qu’une très faible légitimité politique. Les Palestiniens de Cisjordanie et ceux de Gaza ont été séparés en 2006. A l’époque, ce qui se passait à Gaza ne suscitait pas de soutien en Cisjordanie. Depuis 2012, et plus encore depuis 2014, cela a changé. Une solidarité et une unité se mettent en place entre Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem. Le risque, du point de vue du Fatah, est que la popularité du Hamas monte en Cisjordanie. Cela ne va pas les inciter à négocier. Ils préfèrent discuter quand le Hamas est au plus bas.