L'un des initiateurs et porte-parole de la «grande marche du retour», Ahmad Abou Ratima, 34 ans, activiste, blogueur et journaliste, est né à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, dans une famille de réfugiés originaire de Ramta, près de Tel-Aviv. Joint par WhatsApp au lendemain du bain de sang causé par les tirs de l'armée israélienne parmi les manifestants palestiniens, il revient sur ce mouvement «pacifiste» et «consensuel» que les Palestiniens veulent, selon lui, poursuivre.
Le lourd bilan de la marche du retour lundi ne vous décourage-t-il pas ?
Je n’ai pas été surpris par la violence de la réponse israélienne à notre marche, même si je n’imaginais pas un tel degré de cruauté. Il est certain que tout le monde ressent de la tristesse après ce massacre, mais surtout de la colère. Sur le plan international, rien n’est fait pour punir Israël de ce crime de guerre contre des manifestants pacifiques. Les chiffres des victimes reflètent la réalité. On a déploré 110 morts Palestiniens et des milliers de blessés, depuis le début des manifestations en mars, tandis qu’il n’y a pas eu un seul blessé israélien.
Le caractère pacifique de ce mouvement n’est-il pas remis en question ?
Il y a encore deux ans, les gens n’auraient jamais cru à l’intérêt de manifestations pacifiques. Mais dès lors que l’action armée n’a jamais rien donné, ils ont compris qu’il fallait trouver d’autres moyens de résister. La mobilisation de la population pour la grande marche du retour montre au monde entier que les Palestiniens ne renoncent pas à leurs droits sur leur terre. C’est une initiative consensuelle qui met en avant l’unité nationale palestinienne. Toute la marche est organisée sous le seul drapeau palestinien et tout le monde a remarqué que pas un autre drapeau, d’une quelconque formation politique, n’a été brandi depuis le début des manifestations.
L’initiative de cette marche est-elle liée au transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem ?
L’idée de la «marche du retour» a germé en décembre, quand Trump a annoncé sa décision de transférer l’ambassade. Elle est tombée au moment où l’on réfléchissait à la façon de commémorer la Nakba (exode des Palestiniens lors de la création d’Israël) de 1948 qui est à l’origine du drame des réfugiés, surtout à Gaza. On a noué des contacts avec différentes organisations de la société civile à Gaza, ainsi qu’avec les forces politiques qui ont toutes adopté notre idée de marche du retour.
Ne craigniez-vous pas que le mouvement s’essouffle ?
Malgré le deuil et la colère, j’ai senti que le moral de la population restait élevé. Dès le départ, on avait prévu des manifestations tous les vendredis jusqu’à début juin, anniversaire de la guerre de 1967 et de l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie par Israël. Les Palestiniens veulent poursuivre ce mouvement qui, j’espère, évoluera en d’autres moyens d’action.