Certains experts se demandent pourquoi la Corée du Nord a attendu si longtemps. Mercredi, elle a fini par réagir aux nombreux propos controversés tenus ces dernières semaines par le nouveau conseiller à la Sécurité nationale de Trump, John Bolton. Alors que se profile le sommet historique du 12 juin entre les chefs d'Etat américain et nord-coréen, Bolton n'a eu de cesse d'afficher son scepticisme. Surtout, fin avril, il évoquait dans une interview le «modèle libyen» pour la dénucléarisation de la Corée du Nord. Des propos perçus comme une provocation par Pyongyang, qui n'a oublié ni le sort funeste de Kadhafi ni le sérieux penchant du conseiller pour le «changement de régime», en Iran, en Irak ou en Corée du Nord.
Les paroles de Bolton sont «une tentative sinistre d'imposer à notre digne Etat le destin de la Libye et de l'Irak», a dénoncé mercredi le vice-ministre nord-coréen des Affaires étrangères. «Je doute de la sincérité des Etats-Unis à vouloir améliorer les relations avec la Corée du Nord par le dialogue et la négociation», a-t-il ajouté, exprimant au passage «son sentiment de dégoût» envers le conseiller de Donald Trump.
Ce dégoût ne date pas d'hier : en août 2003, le régime nord-coréen qualifiait ainsi Bolton, alors sous-secrétaire d'Etat au Contrôle des armes et à la Sécurité internationale, de «déchet de l'humanité». En cause, son rôle dans la guerre en Irak lancée en mars par Washington et dans la décision de l'administration Bush d'annuler, en 2002, l'accord-cadre signé en 1994 par Bill Clinton et Kim Jong-il, qui gelait le programme nucléaire nord-coréen en échange de la normalisation des relations politiques et économiques entre les deux pays.
«Quand il a été découvert que Pyongyang poursuivait un programme d'enrichissement avec l'aide du Pakistan, une décision clé a dû être prise, décrypte le magazine Foreign Policy. Reprendre la voie diplomatique en étendant l'accord ou le déchirer, en isolant un membre de "l'axe du mal" et en appelant à un changement de régime ? George Bush, en partie poussé par Bolton, a choisi la deuxième approche. Et dès que l'accord s'est effondré, la Corée du Nord a construit une demi-douzaine d'armes nucléaires supplémentaires, testant la première en 2006. Pour de nombreux experts de la non-prolifération, c'est un cas d'école sur les risques que pose la fin des efforts diplomatiques.» Entre John Bolton et Pyongyang, l'animosité n'a jamais disparu. Début mars, un mois avant sa nomination par Trump, l'ancien ambassadeur à l'ONU lançait cette boutade sur sa chaîne préférée, Fox News : «Comment savez-vous que le régime nord-coréen ment ? Réponse : quand leurs lèvres bougent.»
«Enfant terrible»
«Certains pensent que l'objectif de Bolton est de faire des demandes tellement maximalistes que, de toute façon, il n'y aura pas d'accord», analyse pour Libération Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique. Peut-il avoir gain de cause auprès du Président ? C'est précisément ce que Pyongyang cherche à éviter : «La Corée du Nord sait que Trump a besoin, politiquement, de cet accord. En critiquant directement Bolton, et non pas le Président, elle cherche à diviser au sein de la Maison Blanche. L'objectif est de faire en sorte que, dans les négociations, ce soit la ligne de Trump, moins stricte, moins technique et plus politique, qui domine», développe l'expert.
L’avenir proche dira quel impact aura finalement eu John Bolton, 69 ans, sur ce dossier nord-coréen. Même s’il devait échouer à rallier Trump à son intransigeance, il pourra toujours se consoler avec l’Iran. Difficile, en effet, de ne pas voir son empreinte dans le retrait radical des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA en anglais), annoncé la semaine dernière par le Président.
La nomination de Bolton en remplacement du général H.R. McMaster, tout comme celle de Mike Pompeo comme secrétaire d'Etat après le limogeage de Rex Tillerson, a marqué l'avènement des faucons du Parti républicain autour de Trump. Avant de quitter la Maison Blanche, les deux hommes avaient tenté de sauver l'accord et de ménager leurs alliés européens et cosignataires du JCPOA. «McMaster n'était pas une colombe. Mais Bolton appartient à une tout autre catégorie : celle de l'ultra-faucon, estiment deux anciens conseillers d'Obama, Colin H. Kahl et Jon Wolfsthal, dans un article de Foreign Policy. Pour Bolton, il y a peu de problèmes internationaux pour lesquels la guerre n'est pas une réponse.» Donnant parfois l'impression de voir la géopolitique comme une partie de Risk, il a remis au goût du jour le champ lexical de «l'axe du mal» et des «armes de destruction massive». «L'enfant terrible de l'administration Bush», comme le décrit un portrait du New York Times, grand promoteur de la guerre en Irak et du renversement de Saddam Hussein, est un va-t-en-guerre au management brutal. Depuis son arrivée à la Maison Blanche, de nombreux membres du Conseil de sécurité nationale ont pris la porte.
Malgré la position officielle de généraux américains, du secrétaire à la Défense, James Mattis, des cosignataires européens, chinois et russe, et de neuf rapports des inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique qui ont tous montré que l'Iran respectait les engagements pris dans le cadre du JCPOA, John Bolton a toujours fait la moue. «Je ne vois pas les preuves que l'accord ralentit» le programme nucléaire iranien, affirmait-il déjà en octobre. Et puis, de toute façon, «la question n'est pas de savoir si oui ou non l'Iran a violé l'accord sur le nucléaire, il y a eu bien trop de débats là-dessus. L'important, c'est que l'accord était mauvais dès le départ, qu'il l'est toujours, et qu'il faut le déchirer», écrivait-il sur Twitter, reprenant la rhétorique de Trump pendant sa campagne - à moins que ce ne soit l'inverse…
Moustache de morse
«Pour stopper la bombe iranienne, bombardons l'Iran», lançait-il carrément dans une tribune publiée par le New York Times en 2015. Pour lui, une seule solution : un changement de régime à Téhéran. «L'unique politique des Etats-Unis devrait être de mettre fin à la révolution islamique de 1979 avant qu'elle ne fête son 40e anniversaire», a-t-il écrit dans le Wall Street Journal. Avec son sens de la formule, sa moustache de morse et sa raideur, Bolton a clairement l'oreille du Président. Longtemps habitué de Fox News, que Trump regarde quotidiennement, il s'est simplement déplacé de la télé présidentielle au Bureau ovale. Interrogé par la chaîne en octobre sur les conseils qu'il lui donnerait sur l'Iran, Bolton avait répondu : «Je l'inciterais vivement à sortir complètement de l'accord. Nous ne devrions pas essayer une approche timide.» Avant de lister la série de mesures à prendre : «Imposer plus de sanctions américaines aux Iraniens en réponse à leur programme nucléaire et balistique […]. Aller voir les Européens et leur dire : "Nous comprenons que cela va vous poser des difficultés mais vous devez vous joindre à nous." Et on verra ce qu'on peut faire, notamment dans nos discussions avec Israël sur de possibles interventions militaires.» Depuis, Trump a suivi ces consignes à la lettre.
Dans ce cadre, les excellentes relations nouées par cette administration avec Israël et le gouvernement Nétanyahou, couronnées par la reconnaissance, par les Etats-Unis, de Jérusalem comme capitale, et le déménagement lundi de l'ambassade américaine dans la Ville sainte, semblent parfaitement cohérentes avec les vues de Bolton. Il s'en félicitait d'ailleurs dans une tribune publiée au lendemain de la décision de Trump sur le JCPOA : «Le Président voit les bénéfices énormes récoltés par les Etats-Unis de cette relation soutenue avec Israël. […] Nous avons des ennemis communs qui ne font pas la différence entre nous, et sommes donc plus en sécurité ensemble qu'individuellement.» John Bolton n'est, bien sûr, pas le seul à tenir ces positions, sur l'Iran comme sur Israël, partagées par les républicains conservateurs et nombre de think tanks et lobbys néoconservateurs.
«Scénario du pire»
Selon Stewart M. Patrick, du Council on Foreign Relations, la nomination de John Bolton à la Maison Blanche a été vue comme «la victoire définitive des "nationalistes" sur les "globalistes" dans l'administration Trump. Au cœur de cette lutte se trouvent la définition et la défense de la souveraineté américaine». Sur ce point aussi, Trump rejoint Bolton, qui aime jouer la carte de la souveraineté nationale - un terme que le Président a prononcé plus de vingt fois lors de son discours devant les Nations unies en septembre. Dans son livre Surrender Is Not an Option, chronique de son rôle d'ambassadeur onusien en 2005-2006, Bolton critique à longueur de pages les Nations unies, le multilatéralisme et tout type de traité international.
L'Union européenne en prend aussi pour son grade : son fonctionnement est qualifié de «mastication diplomatique sans fin». Eurosceptique et pro-Brexit, Bolton a trouvé en l'UE «sa pire bête noire, qu'il voit comme l'agglomération contre-nature de nations autrefois fières qui ont cédé leur indépendance et leurs droits aux eurocrates de Bruxelles. Son pire cauchemar serait que les Etats-Unis perdent leur liberté», poursuit Stewart M. Patrick.
Les vues de Bolton sur l'Europe sont assez utiles pour comprendre comment Trump a pu tourner le dos à ses alliés européens, qui soutenaient l'accord nucléaire iranien, et qu'il menace désormais de sanctions économiques. Kahl et Wolfsthal, les ex-conseillers d'Obama, résument le mode de fonctionnement de Bolton : «Une tendance à penser au scénario du pire, une façon de tordre les informations pour justifier la guerre avec les Etats voyous, un mépris pour les alliés et les institutions multilatérales, une foi aveugle dans la puissance militaire des Etats-Unis, et une tendance à penser que la fin justifie les moyens, aussi terrifiants qu'ils soient.» Pyongyang connaît bien le personnage. Et espère que, face à un Trump en quête de victoire politique, Bolton ne pèsera pas trop lourd.
Bolton en Cinq Dates
-1948 : naissance à Baltimore.
-1981-2000 : travaille dans les administrations républicaines (USAID, Département d’Etat, Justice).
-2001-2005 : sous-secrétaire d’Etat aux affaires de désarmement.
-2005-2006 : ambassadeur très controversé à l’ONU.
-Avril 2018 : conseiller à la Sécurité nationale.