Menu
Libération
Santé

Cosmétiques : le Parlement européen veut abolir l'expérimentation animale

Les eurodéputés se sont prononcés pour étendre l'interdiction déjà en vigueur sur le Vieux Continent aux produits testés dans le reste du monde. Avec la volonté de lutter contre le flou qui entoure la fabrication des cosmétiques.
(Photo D. Dipasupil. Getty Images. AFP)
publié le 17 mai 2018 à 18h12

Le 3 mai, le parlement européen adoptait avec une majorité écrasante (620 voix pour, 14 contre) une résolution en faveur de l'interdiction mondiale de l'expérimentation animale pour les cosmétiques. Un peu plus de cinq ans après avoir interdit la commercialisation en Europe des produits cosmétiques ayant été testés sur des animaux. Même si certains pays comme la Norvège, la Nouvelle-Zélande, l'Inde ou le Guatemala ont suivi l'exemple européen, 80% des pays dans le monde autorisent encore ces expérimentations.

Quelque 500 000 animaux sont utilisés chaque année à ces fins dans le monde – lapins, souris, rats, cochons d'indes et hamsters –, selon une estimation de l'ONG britannique Cruelty Free International. La résolution du Parlement réclame «l'introduction au niveau mondial d'une interdiction de l'expérimentation animale pour les cosmétiques et d'une interdiction du commerce international des ingrédients et des produits cosmétiques testés sur des animaux, qui entreraient en vigueur avant 2023».

«Signal envoyé par le premier marché de cosmétiques au monde»

«C'est une résolution, donc ça n'a pas valeur d'obligation, mais c'est une position très forte exprimée par le Parlement, et bien accueillie par la Commission», se réjouit l'attaché parlementaire de Frédérique Nies, eurodéputée belge de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire qui a présenté cette résolution. Et surtout «un signal envoyé par le premier marché de cosmétiques au monde».

Pour atteindre cet objectif, les eurodéputés invitent «la Commission, le Conseil et les Etats membres à faciliter, promouvoir et soutenir la conclusion, dans le cadre des Nations unies, d'une convention internationale contre l'utilisation d'animaux pour tester les cosmétiques» et à se mobiliser pour que cette question soit inscrite «à l'ordre du jour de la prochaine session de l'assemblée générale», qui débutera en septembre.

L'Union européenne a une délégation aux Nations Unies, qui possède un «statut avancé d'observateur», ce qui lui permet de participer aux débats. En parallèle, Cruelty Free International et la marque de cosmétiques The Body Shop avaient lancé en juin dernier la pétition «Forever Against Animal Testing» («A jamais contre l'expérimentation animale»), pour réclamer une convention internationale similaire aux Nations Unies. Elle rassemble à ce jour 5,7 millions de signatures sur les 8 millions visés.

«Multi-usages»

Le 11 mars 2013, la Commission européenne annonce l'interdiction totale de commercialiser des produits cosmétiques ayant été testés sur des animaux, qu'ils soient produits en Europe ou en dehors. C'est l'aboutissement d'un long processus. Et un choix politique inédit. Le but est alors de booster la recherche d'alternatives à l'expérimentation animale. Mais quel est le bilan de la directive européenne ?

Malgré ses objectifs ambitieux, la directive européenne de 2013, transposée depuis dans les législations des états membres, a quelques lacunes majeures. La première concerne les ingrédients dits «multi-usages»: «La majorité des ingrédients présents dans les produits cosmétiques sont également utilisés dans de nombreux autres produits industriels et de consommation, comme les produits pharmaceutiques, les détergents et autres produits chimiques ou les produits alimentaires, (et) ces produits peuvent avoir été testés sur des animaux au titre de la législation applicable, comme le règlement Reach, lorsqu'il n'existe pas de solutions de substitution», atteste d'ailleurs la résolution du 3 mai.

Reach (Enregistrement évaluation autorisation et restriction des substances chimiques) est un règlement mis en place en 2007 par l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) pour protéger la santé et l'environnement des risques liés aux substances chimiques. Il concerne tout type d'industries et impose aux entreprises de tester leurs substances pour prouver leur sûreté d'utilisation. L'expérimentation animale doit être utilisée en «dernier recours» selon l'ECHA. L'agence promeut le partage des résultats pour éviter de répéter inutilement des tests et un certain nombre de méthodes alternatives : des modélisations informatiques ou des tests in vitro (l'opposé des tests sur animaux, in vivo) par exemple. Pourtant, 11% des tests sont effectués sur des animaux, selon un rapport de l'ECHA de juin 2017.

Les substances chimiques utilisées dans les cosmétiques sont soumises à REACH. Et le règlement permet trois exceptions à l'interdiction de tester les cosmétiques sur des animaux, qui ont été explicitées par une décision du médiateur européen en juillet 2017. La première concerne donc les ingrédients multi-usage. REACH permet également les tests sur les animaux lorsqu'il est question du danger que peut poser une substance pour l'environnement. Enfin, une exception est faite pour les «tests effectués pour évaluer les risques qu'encourent les ouvriers exposés à la substance».

Expérimentations hors Europe sont de facto tolérées

L'autre lacune de la directive européenne, ce sont les tests effectués hors de l'UE. La Cour de justice de l'Union européenne a statué sur cette question en septembre 2016. Elle considère qu'on ne reprochera rien à une marque si elle fait des tests sur les animaux dans un pays hors d'Europe, tant qu'elle n'utilise pas les résultats de ces tests pour sa demande de commercialisation en Europe. Du coup, les expérimentations hors Europe sont de facto tolérées, ce qui est «contraire à l'esprit de la législation» selon la résolution du 3 mai.

Ces tests ont lieu soit pendant le développement du produit, soit pour satisfaire les exigences de certains pays tiers. Le cas de la Chine est le plus connu. Elle exige que tout produit cosmétique importé sur son territoire soit testé sur les animaux pour obtenir une autorisation de mise sur le marché. Bien qu'elle ait assoupli sa législation ces dernières années pour les produits fabriqués sur le sol chinois, acceptant certaines méthodes alternatives, ce n'est toujours pas le cas pour les cosmétiques importés. Or, nombre de grosses marques de cosmétiques notamment européennes sont vendues en Chine, qui représente un marché estimé à 50 milliards d'euros.

«L'Oréal est l'entreprise la plus engagée depuis plus de dix ans auprès des autorités et des scientifiques Chinois à faire reconnaître les méthodes alternatives et faire évoluer la réglementation cosmétique vers une élimination totale et définitive des tests sur animaux», déclare le groupe sur son site pour justifier sa présence en Chine. Sur le même site, on trouve pourtant écrit que L'Oréal a arrêté les tests sur les animaux «en 1989», et ne tolère «aucune exception à la règle». La marque se contredit elle-même, puisque sa présence sur le marché chinois se traduit forcément par des expérimentations animales.

Mais ce que l'Oréal a bien compris, c'est que le «non testé sur les animaux» est devenu un argument marketing. Selon une étude menée par le groupe Nielsen en 2015, c'est même l'argument numéro un pour les consommateurs de cosmétiques.