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analyse

Gaza : Nétanyahou capitalise sur les déclarations du Hamas, le Caire fait baisser la tension

La déclaration d'un porte-parole du Hamas, selon lequel «50 des 60 tués» lundi à Gaza étaient membres de l'organisation sert de justification à la répression sanglante des Israéliens. L'Egypte a ouvert sa frontière pour soulager la population.
Un Palestinien brandit le drapeau palestinien durant un affrontement avec les forces de l'ordre israélienne à la frontière avec la bande de Gaza, le 14 mai. (Photo Saïd Khatib. AFP)
publié le 18 mai 2018 à 19h08

Face caméra, un Benyamin Nétanyahou tout sourire exulte : «Vous êtes prêts pour une nouvelle choquante? Je suis entièrement d'accord avec tout ce qui a été dit par les dirigeants du Hamas ces derniers jours.» Dans une vidéo postée jeudi soir sur Facebook, le Premier ministre israélien fait son miel des dernières déclarations des leaders du mouvement islamiste, au pouvoir dans la bande de Gaza depuis 2007 et désormais aux commandes du mouvement de la «Marche du retour», réprimé dans le sang par Israël.

Ainsi, «Bibi» enchaîne les verbatims, de Mahmoud Zahar (cofondateur du Hamas, héraut de l'aile la plus radicale de l'organisation), qui a assuré que les manifestations décrites comme «pacifiques» n'étaient qu'une «ruse pour les activités militaires du Hamas», à Salah Bardawil, porte-parole du mouvement, selon lequel 50 des 62 des tués lundi étaient «membres du Hamas, le reste des gens normaux». Ergo : la version israélienne des événements - «la marche du retour n'est pas un mouvement populaire et non-violent mais une mascarade terroriste du Hamas» - martelée depuis des semaines, est validée par la bouche des meilleurs ennemis de Nétanyahou, le Hamas. Et sert à nouveau de justification pour l'usage de la force létale, stigmatisant l'ensemble des manifestants sous le terme «terroriste».

Rupture

La revendication du Hamas - qui ne fait pas la distinction entre soutiens et militants actifs, voire membres des brigades armées - est difficilement vérifiable, et Israël n'a aucune raison de la contester. Avant cette déclaration, le renseignement militaire israélien disait avoir identifié 24 membres des branches armées du Hamas et du Jihad islamique parmi les tués. De son côté, le lieutenant-colonel Jonathan Conricus, en charge de la communication de Tsahal, concédait que seuls 14 des Palestiniens tombés sous les balles des snipers l'avait été en train d'attaquer directement les soldats, au cours de quatre «incidents dangereux» où des «unités du Hamas» avaient ouvert le feu sur les soldats postés de l'autre côté de la clôture électronique et posé «huit engins explosifs».

Néanmoins, l'assertion du Hamas marque une rupture dans la communication du mouvement islamiste, qui, depuis des semaines, jouait une partition délicate. D'un côté, ses leaders cherchaient à minorer leur implication, réduite à une simple «aide logistique», conscients que l'étiquette Hamas ne pouvait que desservir la mobilisation aux yeux des observateurs internationaux et conforter les Israéliens dans leur répression aveugle. «On remarque d'ailleurs que ce n'est pas un communiqué officiel de la direction politique du mouvement, note Leïla Seurat, auteur de le Hamas et le monde (2015). À la différence de leur communication après le 30 mars (premier jour de la «Marche», ndlr), où ils avaient revendiqué une dizaine de martyrs, photos en tenue militaire à l'appui, et avaient été très critiqués pour cela». De l'autre, les cadres du Hamas tenaient de plus en plus fermement les rênes de la «Marche du retour», lancée à l'origine par une poignée d'activistes apolitiques rapidement mis sur la touche, et négociaient ses suites avec l'Égypte, soucieuse d'en réduire les flammes pour le compte d'Israël.

Jeudi, Abdel Fattah Al-Sissi a annoncé l'ouverture du poste-frontière de Rafah, seul point de sortie des Gazaouis sur l'Égypte (et donc sur le monde) durant tout le mois de ramadan, «pour alléger les souffrances» des deux millions d'habitants de l'enclave palestinienne. Annonce rarissime : depuis l'arrivée au pouvoir du maréchal, le blocus s'était encore durci côté égyptien, le terminal n'ouvrant qu'une poignée de jours par an.

Depuis une semaine, Le Caire joue les intermédiaires entre Israéliens et Palestiniens afin de faire «cesser l'effusion de sang», comme l'a reconnu Sissi. La veille de la mobilisation du 14 mai, date du déménagement de l'ambassade américaine, Ismaïl Haniyeh avait rencontré le chef du renseignement égyptien au Caire. Celui-ci lui aurait fait passer le message qu'Israël était prêt à lancer une campagne d'assassinats ciblés contre les leaders du Hamas si les manifestations ne cessaient pas.

Trahison

Rencontré à Gaza, l'analyste Omar Shaban note un certain soulagement parmi la population : «Il y avait une vraie crainte de retomber dans la guerre totale… Mais les Égyptiens ont l'air déterminés à calmer la situation, et le Hamas est assez intelligent pour comprendre l'ampleur des conséquences s'il continue à pousser le mouvement au même niveau d'intensité que lundi.»

Mais pour d'autres, la volte-face du Hamas, qui a plus ou moins appelé ouvertement au gel de la «marche», est ressentie comme une trahison : «Les gens disent : "Vous avez envoyé nos enfants à la mort et maintenant qu'on menace vos chefs, vous arrêtez tout?" Ça passe très mal auprès du peuple», témoigne un journaliste gazaoui, sous couvert de l'anonymat. La révélation choc de Bardawil était d'ailleurs une réponse à la question : «Les gens disent que les enfants meurent et le Hamas récolte les fruits…» Réservé au public palestinien en somme.

Une analyse en partie partagée par Leïla Seurat : «C'est une façon de dire "on paye le plus lourd tribut", après les récentes déclarations d'un haut responsable du Fatah qui accusait Haniyeh d'avoir bradé la "Marche du retour" au Caire.»

Depuis, le Hamas souffle le chaud et le froid. «Il tente de débrancher la mobilisation en douceur», assure une source locale, qui ne veut pas donner son nom. Vendredi, seuls quelques centaines de Gazaouis se sont rendus à la frontière, jetant quelques pierres et embrasant des pneus.

Bassem Naïm, haut responsable du Hamas en charge de sa communication internationale, reste sur cette ligne de crête : «Nous continuerons jusqu'à ce que nous remplissons tous nos objectifs. Mais l'heure actuelle est au recueillement, et nous donnons rendez-vous au 5 juin [date anniversaire du début de la Guerre des Six Jours, qui aboutira à l'occupation de la Cisjordanie et Jérusalem-Est, ndlr]. Quelques concessions sur le siège ne suffiront pas : on ne se contentera pas d'un peu plus de pain ou d'une heure en plus d'électricité : on veut sa levée inconditionnelle.» Sur Al Jazeera mercredi soir, Yahya Sinwar, numéro 1 du Hamas à Gaza, jurait faire «tout son possible pour empêcher les manifestations futures de dégénérer dans l'action armée».

Vendredi, le Conseil des droits de l'homme des Nations unies a voté l'envoi d'une mission d'enquête internationale, après avoir qualifié l'usage de la force israélienne depuis le début de la «Marche du retour» de «totalement disproportionnée», causant plus de 110 morts depuis fin mars. Une résolution qualifiée «d'absurde» par Israël.