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Réactions

Les yeux des Européens rivés sur la Botte

De Paris à Berlin en passant par Madrid et Londres, le Vieux Continent a fait part de son inquiétude après l’accord scellé entre les deux formations italiennes eurosceptiques.
Matteo Salvini, le leader de la Ligue, à Rome lundi. (Photo Riccardo Antimiani. ANSA via AP)
publié le 21 mai 2018 à 20h56

La parole d'un Etat vis-à-vis de ses partenaires européens versus la voix de son peuple ayant exprimé sa souveraineté par les urnes. A Paris, le choix est tout fait. Sans attendre la tête du nouveau gouvernement, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, a mis en garde dimanche l'Italie, membre fondateur de l'UE, et a critiqué les promesses inscrites dans le «contrat de gouvernement» scellé entre la Ligue et le Mouvement Cinq Etoiles : «Si le nouveau gouvernement prenait le risque de ne pas respecter ses engagements sur la dette, le déficit, mais aussi l'assainissement des banques, c'est toute la stabilité financière de la zone euro qui serait menacée.» Et d'ajouter : «Chacun doit comprendre en Italie que l'avenir de l'Italie est en Europe et nulle part ailleurs, et pour que cet avenir soit en Europe, il y a des règles à respecter. Les engagements qui ont été pris par l'Italie […] valent quel que soit le gouvernement. Je respecte la décision souveraine du peuple italien, mais il y a des engagements qui dépassent chacun de nous.» Comment ne pas penser, toutes choses égales par ailleurs, à Wolfgang Schaüble, l'inflexible ancien ministre allemand des Finances tançant la Grèce d'Aléxis Tsípras après la victoire de ce dernier aux législatives de 2015. Réponse du patron de la Ligue, Matteo Salvini, à Le Maire : «Que les Français s'occupent de la France et ne mettent pas leur nez dans les affaires des autres.»

Dimanche sur Twitter, Jean-Luc Mélenchon a lui aussi fait part de son inquiétude, pointant la montée de l'extrême droite : «Je ne cesse de répéter qu'il y a danger. En Hongrie, en Pologne, en Allemagne, en France, en Italie… L'extrême droite est soit au pouvoir, soit elle a des élus dans les Parlements.»

Pour les grands projets européens d’Emmanuel Macron, déjà retardés par la constitution compliquée de la coalition en Allemagne et par la frilosité du nouveau pouvoir, le basculement de l’Italie dans le populisme eurosceptique est une mauvaise nouvelle, a fortiori à un an des européennes. Mais à l’Elysée, on veut croire que l’Italie ne sautera pas dans le vide et Macron compte bien se servir de cette nouvelle alerte, la plus sérieuse jusqu’à présent, pour dramatiser l’enjeu du scrutin continental et répéter à ses partenaires que, face au péril national-populiste, il est vital pour l’Europe d’avancer concrètement vers un budget de la zone euro permettant de renforcer les solidarités.

Pour l’Allemagne, la peur d’une crise européenne

Pour l’Allemagne, l’arrivée au pouvoir de la Ligue et du Mouvement Cinq Etoiles relève d’un scénario catastrophe. Le programme annoncé y est perçu comme un nouveau coup dur pour l’Europe. A Berlin, la demande des eurosceptiques d’effacer une partie de la dette italienne auprès de la Banque centrale européenne à hauteur de 250 milliards d’euros est pour le moins choquante. Tout comme la proposition de baisser les impôts ou encore d’introduire un revenu minimum universel sans en expliquer le financement alors que l’Italie est déjà endettée à plus de 132 % de son PIB.

Outre-Rhin, les avis sont quasi unanimes : ces mesures fantaisistes entraîneront une crise financière de la zone euro. Et cette fois, face à la troisième puissance économique de l'UE, l'Allemagne aura le plus grand mal à imposer les mesures d'austérité mises en place lors de la crise grecque. Pour Friedrich Heinemann, analyste du Centre de recherche sur l'économie européenne (ZEW), «l'Italie part du principe qu'elle est trop importante pour chuter et que la zone euro peut donc faire l'objet d'un chantage parce qu'elle doit à tout prix empêcher l'effondrement financier de l'Etat et des banques italiennes». Un rapport de force dont l'Europe sortirait perdante, puisque la Commission européenne et Berlin ne peuvent (pour le moment) que se contenter de lancer des avertissements et engager des procédures pour déficit excessif à l'encontre de l'Italie. Une menace qui ne semble pas effrayer la future coalition gouvernementale transalpine.

Pour l’Espagne, la vague antisystème scrutée

En Espagne, l'autre grande économie latine de l'UE, la crise italienne est observée avec appréhension. Avant tout pour des raisons pécuniaires. «La contagion italienne n'éclaboussera pas l'Espagne», tente de rassurer le journal économique Expansión. A l'inverse, le Círculo de Economia, puissant club de décideurs, ne cache pas sa crainte, considérant l'énorme dette publique italienne comme un facteur de déséquilibre communautaire pouvant conduire à l'implosion de la zone euro. Sur le plan politique, le gouvernement Rajoy, qui jusqu'à il y a peu redoutait que l'irrédentisme catalan n'affecte la France et l'Italie, se dit en coulisse davantage préoccupé encore par la vague antisystème qui déferle dans la Botte. Un responsable régional du Parti socialiste renchérit : «Chez nous, l'échiquier politique est encore sous contrôle, avec une extrême droite ultraminoritaire et une gauche antiestablishment [Podemos, ndlr], certes radicale, mais qui au moins ne préconise pas la sortie de l'euro.»

Aux yeux des centristes libéraux de Ciudadanos, le nouveau défi du séparatisme catalan masque pour l’instant la prise de conscience du danger italien. Tout en affirmant qu’en Europe, la seule façon de contrecarrer les mouvements antisystèmes prêts à dynamiter les traités est la montée des forces libérales et européistes… à l’instar de celles qu’incarnent Emmanuel Macron ou Albert Rivera, chef de file de Ciudadanos.

Pour le Royaume-Uni, le vote pour le Brexit légitimé

Depuis le vote britannique en faveur d'une sortie de l'UE, toute élection ou tout événement politique européen est observé outre-Manche à travers le prisme du Brexit. Souvent, les analyses se doublent même d'une forme de «schadenfreude» («joie malsaine»). Et si, finalement, la vague populiste qui a débouché sur le vote pour le Brexit n'était pas un accident, mais bien la confirmation d'un mouvement global ? En 2017, les idéologues du Brexit avaient ainsi guetté l'élection présidentielle française, convaincus qu'une victoire de Marine Le Pen à la tête d'un Front national anti-EU et anti-euro conforterait leur choix. Aujourd'hui, leurs yeux sont tournés vers l'Italie. Matthew Goodwin, de l'université du Kent, estime ainsi dans l'eurosceptique Daily Telegraph que «le nouveau gouvernement populiste italien prouve que les électeurs britanniques ne sont pas les seuls à remettre en question le rêve de l'UE». Pour Nigel Farage, architecte du Brexit, le nouveau gouvernement eurosceptique italien représente une «menace plus importante pour l'Union européenne que le Brexit». Dans une conversation sur la radio LBC avec Peter Foster, correspondant du Daily Telegraph sur l'Europe, l'ancien dirigeant du parti europhobe Ukip a mis en garde l'UE contre la tentation «d'humilier l'Italie comme elle a humilié la Grèce».