Pour juger des politiques économiques de la gauche radicale, il faut toujours revenir à ce proverbe des anciens pays de l'Est : «Les communistes prennent le pouvoir au Sahara ; au bout d'un an il ne se passe rien ; au bout de deux ans, pénurie de sable.» Ainsi du Venezuela. La gauche radicale prend le pouvoir dans le pays qui possède les plus grandes réserves mondiales de l'hydrocarbure. Au bout de quinze ans, pénurie de pétrole.
Cette fois-ci, ce n’est pas une blague : l’essence manque au Venezuela et il y a aussi pénurie de médicaments, d’hôpitaux, de nourriture, d’argent et pour couronner le tout, pénurie de liberté, comme le montre l’élection présidentielle Potemkine qui vient de confirmer Maduro à la présidence. Des centaines de milliers de personnes, souvent pauvres, fuient ce pays ruiné, la mortalité augmente, l’inflation bat le record du monde et le PIB a baissé de plus de 40 %, un pourcentage qu’on n’observe que dans les pays en guerre. Les chavistes crient au complot yankee. Les sanctions américaines jouent un rôle dans cette affaire. Mais ce n’est pas l’essentiel. Cette rhétorique évite de s’interroger sur les erreurs tragiques une nouvelle fois commises par ceux qui donnent des leçons de pureté socialiste à la terre entière.
La «politique de l’offre», selon le catéchisme radical, est de droite. On fait donc une «politique de la demande», elle que réclament toujours les Savonarole du socialisme : on distribue sans compter l’argent du pétrole. C’est mieux que de remplir les poches de la classe dirigeante. Mais on oublie d’investir. Après dix ans de prospérité consommatrice acquise par les revenus du pétrole, l’appareil de production vénézuélien est à l’abandon. Quand le prix du baril baisse (cela arrive), on ne sait pas produire autre chose. La pénurie s’installe, cruelle, comme toujours, aux classes populaires.
Il faut sortir de l’orthodoxie monétaire, dit-on fièrement. On manipule donc les cours de la monnaie. Dans le cas du Venezuela, pour faire baisser le prix des importations - payées par les exportations de pétrole - on fixe un taux de change extérieur artificiel, beaucoup trop élevé. Cette monnaie trop forte bloque tout autre effort d’exportation. L’économie produit de moins en moins. On instaure un contrôle des changes. L’écart entre le cours officiel et le cours réel, énorme, alimente une spéculation effrénée.
Il faut «rompre avec les logiques comptables», dit-on encore. On creuse donc les déficits, financés non par l’impôt ou l’épargne (c’est de droite), mais par la création monétaire. Il en résulte une inflation vertigineuse qui ruine le pouvoir d’achat des classes pauvres et fait fuir l’épargne à l’étranger.
Le marché est de droite, dit-on. On s’abstient d’en comprendre le fonctionnement et on accuse le secteur privé des déboires du régime. La multiplication des expropriations et des lois spéciales achève de décourager les entrepreneurs : la production baisse encore. Le secteur public s’étend au profit d’une nouvelle bourgeoisie - la «bolibourgeoisie» (bourgeoisie bolivarienne), souvent des militaires - qui se vautre dans la corruption.
Devant le désastre, on cherche des coupables : les Etats-Unis, bien sûr (ils ont leur part de responsabilité), la droite (elle aussi), on se réfugie dans l’idéologie. Et comme le peuple regimbe, on s’appuie sur l’armée pour installer une dictature à façade électorale. Le tout au nom de la pureté du socialisme, une nouvelle fois défiguré par ceux qui s’en arrogent le monopole. Eternel sectarisme de la gauche radicale. On fustige au passage la «fausse gauche» des sociaux-démocrates, coupables de réalisme économique. Mais la «vraie gauche», aveuglée par ses dogmes, conduit le peuple à l’abîme.