«Qu'on apporte le Spritz au vin blanc !» Après vingt-quatre ans passés au poste de maire de Vienne, Michael Häupl (68 ans) part à la retraite. Peut-être prononcera-t-il encore ce qui passe pour être sa phrase préférée, pour les fans.
Appétit, humour bon enfant et répliques abrasives, il remballe l’attirail qui l’a élevé au rang d’icône et passe le flambeau, ce jeudi, à un membre du Parti social-démocrate (SPÖ), Michael Ludwig.
Vienne, dirigé par la gauche en coalition avec les Verts, reste un bastion de la résistance au gouvernement du conservateur Sebastian Kurz, allié, lui, avec l'extrême droite du Parti de la liberté (FPÖ). Mais la ville perd un monument. Le 1er Mai, une centaine de milliers de «camarades» ont fêté la social-démocratie qui règne sur la ville depuis un siècle (à l'exception des années fascistes). Peut-être par nostalgie, ils étaient plus nombreux que ces dernières années. Certains et certaines arboraient une moustache grise factice, dernier hommage au chef sur le départ. «Pour les Viennois, Michael Häupl est devenu cool», explique la politologue Eva Zeglowits. Selon cette spécialiste du comportement électoral, «il est perçu comme proche du peuple, sans être rétrograde», à la différence de beaucoup de ses collègues autrichiens qui écument les kermesses en habit traditionnel.
«Avec Michael Häupl, Vienne est devenu plus urbain, analyse de son côté le conseiller municipal en charge de la culture, Andreas Mailath-Pokorny, qui fait lui aussi ses bagages après dix-sept ans de service. Ce n'est plus une ville musée, mais une capitale de la culture contemporaine, avec une vie étudiante et scientifique.» Couronnement de l'ère Häupl, sa cité a été désignée pour la neuvième fois d'affilée «ville où il fait le mieux vivre au monde» dans le classement Mercer.
Conflit larvé.Electoralement, Michael Häupl a aussi marqué des points en se posant en adversaire principal du FPÖ. En 2005, il obtient même la majorité absolue en renvoyant Jörg Haider dans les cordes avec un féroce : «Aucune place pour l'antisémitisme à Vienne.» En 2015, il en repasse une couche sur le nouveau leader de la formation d'extrême droite, Heinz-Christian Strache, cette fois sur la question du retour des jihadistes autrichiens : «Je ne renvoie aucun enfant de ma ville sous les canons de l'Etat islamique.» Pourtant, le XIe arrondissement tombe. Loin du cossu centre-ville, ce quartier ouvrier élit le premier maire d'arrondissement FPÖ.
D'autres circonscriptions sont menacées ; une fronde se forme au sein du personnel social-démocrate. «Les quartiers périphériques, en particulier, ne se sentaient pas assez représentés à la mairie», explique la toute nouvelle secrétaire générale de l'antenne viennoise du parti, Barbara Novak. Son chef était le meneur des «rebelles» : Michael Ludwig, le nouveau maire de Vienne. Après des années de conflit larvé, il s'est imposé lors d'un vote interne, contre la recommandation de Michael Häupl. Sur quelle voie va-t-il mener la centenaire «Vienne la rouge» ? Les médias locaux le présentent comme un tenant d'une «aile droite» de son parti, plus dure sur l'immigration.
Renouveau. Un autre homme fait partie de la frange droitière : Hans Niessl, qui a fait des vagues en choisissant, il y a trois ans, le FPÖ comme partenaire de coalition pour gouverner une région voisine, le Burgenland. «Personne au sein de la section viennoise ne veut entrer en coalition avec le FPÖ !» assure Barbara Novak. Certes, les commentateurs ont relevé avec étonnement que, pour sa première campagne d'affichage, le nouveau chef de la ville a choisi, entre autres mots clés, le Heimat, c'est-à-dire le «chez-soi», la patrie germanophone. Mais «nous lui donnons une interprétation inclusive», dit la secrétaire générale, pour qui «il ne faut pas abandonner ce terme aux forces conservatrices et réactionnaires».
Alors que la droite, au niveau national, est portée par le fringant Sebastian Kurz, le remplacement du poids lourd Michael Häupl par Michael Ludwig apporte du renouveau chez les sociaux-démocrates. Sans compter que le dénouement du conflit de succession dans la capitale libérera peut-être les énergies. Andreas Schieder, président de leur groupe parlementaire et candidat malheureux à la mairie, souligne la tâche qui incombe, selon lui, au nouveau maire : «La "Vienne la rouge" du futur doit montrer une voie alternative aux relents conservateurs et nationalistes qui soufflent dans toutes les arrière-chambres des gouvernements en Europe.» Avant l'Europe, il faudra convaincre les électeurs lors de l'élection municipale de 2020.