Après les menaces et les épithètes moqueuses, puis la réconciliation optimiste, voici la lettre de rupture. Dans une missive adressée à Kim Jung-un, datée de jeudi et transmise par le service de presse de la Maison Blanche, Donald Trump annonce l'annulation du sommet historique prévu le 12 juin à Singapour, au cours duquel il devait rencontrer le leader nord-coréen. «J'avais vraiment hâte d'y être avec vous, écrit le président américain. Malheureusement, considérant l'immense colère et l'hostilité affichée dans vos récentes déclarations, j'estime qu'il est inapproprié, en l'état, de procéder à ce sommet tant attendu.» La rencontre de Singapour n'aura pas lieu, poursuit Trump, «pour le bien des deux parties mais au détriment du monde». Avant de menacer : «Vous parlez de vos capacités nucléaires, mais les nôtres sont si énormes et puissantes que je prie Dieu que nous n'ayons jamais à en faire usage.» En fin de journée, le président américain a renchéri : «Notre armée, qui est de loin la plus puissante du monde, est prête si nécessaire.»
Dans sa lettre, Trump semble faire référence aux propos d'un haut responsable nord-coréen, qui aurait qualifié mercredi le vice-président Mike Pence de «pantin politique», et affirmé que «la Corée était prête à une confrontation nucléaire en cas d'échec du dialogue avec les Etats-Unis». Après des mois de surenchère verbale entre les deux leaders, ce sommet historique avait été accepté en mars. Changement de ton, espoir : et si l'improbable se produisait ? Et si ces deux dirigeants imprévisibles et fort peu conventionnels étaient ceux qui inversaient le cours des choses ? Le secrétaire d'Etat, Mike Pompeo, s'était même rendu à plusieurs reprises en Corée du Nord pour préparer le sommet, et avait rencontré Kim Jung-un.
Failles. Mais l'optimisme des premiers jours avait laissé place à de plus en plus de scepticisme. De nombreux observateurs avaient, dès le début, alerté sur les nombreuses failles dans la préparation précipitée du sommet. L'historien des sciences spécialiste des armes nucléaires, Alex Wellerstein, expliquait fin avril à Libération que le dialogue entre Washington et Pyongyang démarrait sur «un grand malentendu», les deux parties étant par exemple incapables de se mettre d'accord sur un objectif et un langage commun. Ce flou faisant du sommet «un rendez-vous très risqué et potentiellement, un prélude à la guerre», prévenait James Acton, codirecteur du Nuclear Policy Program au think tank Carnegie Endowment for International Peace. «Le monde ne peut pas faire confiance aveuglément à Donald Trump pour assurer la paix mondiale», a regretté Beatrice Fihn, directrice exécutive de la Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires (Ican), prix Nobel de la paix en 2017.
Pyongyang n'a pour l'instant pas répondu à l'annulation du sommet et à la lettre de Trump. Le président américain a cependant laissé la porte ouverte : «Si vous changez d'avis par rapport à ce sommet important, n'hésitez pas à m'appeler ou à m'écrire. Le monde, et la Corée du Nord en particulier, ont perdu une grande occasion pour une paix durable et une grande prospérité. Cette opportunité manquée est un moment vraiment triste de l'histoire.»
Cette annulation intervient alors que l'agence de presse officielle nord-coréenne affirme que ce jeudi, le site nucléaire de Punggye-ri a été démantelé «complètement». Un gage de bonne volonté, même si certains experts doutent que le site soit vraiment rendu inutilisable. Autre gage récent, Pyongyang avait libéré le 9 mai trois ressortissants américains détenus depuis des mois en Corée du Nord.
Faucon. La décision de Trump pourrait bien être le dernier effet Bolton en date, après la sortie des Etats-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien. Le faucon, conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump depuis début avril, n'a eu de cesse de torpiller Pyongyang, et a toujours méprisé les efforts diplomatiques vis-à-vis de la Corée du Nord. Il ne voyait la perspective du sommet Trump-Kim que comme «une façon de raccourcir le temps que nous aurions perdu en négociations», et s'est plusieurs fois dit favorable à des frappes préventives en Corée du Nord.
Fin avril, il avait sérieusement fait dérailler les négociations en évoquant dans une interview le «modèle libyen» pour la dénucléarisation de la Corée du Nord. Des propos perçus comme une provocation par Pyongyang, qui n'a oublié ni le sort funeste de Kadhafi ni le sérieux penchant du conseiller pour le «changement de régime», en Iran, en Irak ou en Corée du Nord. Les paroles de Bolton sont «une tentative sinistre d'imposer à notre digne Etat le destin de la Libye et de l'Irak», avait dénoncé le vice-ministre nord-coréen des Affaires étrangères, exprimant ses «doutes» sur la «sincérité des Etats-Unis à vouloir améliorer les relations avec la Corée du Nord par le dialogue et la négociation».