«Cette loi ne permet pas de faire diminuer le taux d'avortements. Elle est vaine, mais elle est nuisible pour les femmes.» Le 24 mai, Na Young, commissaire en chef de l'organisation The Network for Glocal Activism était, comme plus d'une centaine d'activistes pro-choix, devant le siège de la Cour constitutionnelle coréenne, à Séoul. L'instance a entamé jeudi, pour la deuxième fois depuis 1953 – date de l'inscription de la loi anti-avortement dans le Code pénal – un examen de la constitutionnalité des lois anti-IVG.
En 2012, la Cour avait statué que l'interdiction de l'avortement n'était pas anti-constitutionnelle. La nouvelle révision pourrait signifier, pour les droits des femmes coréennes, un grand pas dont les activistes se réjouissent : «Le gouvernement a promis de répondre à toute pétition récoltant au moins 20 000 signatures en un mois. Nous en avons reçu environ 230 000», confie Na Young.
Renouveau du mouvement féministe
Depuis 2015, la Corée du Sud connaît un «feminist reboot» (relance du mouvement féministe). Il n'a cessé de s'intensifier depuis l'annonce surprise, en septembre 2016, par le ministère de la Santé et les services sociaux, d'une volonté de durcir les lois contre les «pratiques médicales inappropriées».
«La Corée du Sud entretient un fort attachement avec ses traditions, ce qui explique en partie la persistance d'une culture sexiste, comme dans beaucoup d'autres pays», décrit une représentante du mouvement féministe Femidangdang. «Bien que de nombreuses femmes ont recours à l'avortement, la population coréenne a encore beaucoup de stigmates vis-à-vis du sujet, depuis sa criminalisation par l'empire japonais en 1912», affirme Na Young. Même après la décolonisation de la Corée en 1945, cette pratique est restée interdite par le gouvernement, et un tabou pour la population.
«A cette époque [dans les années 70], les familles subissaient une grosse pression pour donner naissance à des garçons, rapporte Na Young. Le gouvernement promouvait alors la pratique de l'avortement pour éliminer les filles.» Pourtant, en 1973, l'Etat revient sur la question de l'IVG avec un texte limité : la loi sur la santé de la femme et de l'enfant, qui autorise, entre autres, un accès à l'interruption de grossesse en cas de viol et de relation incestueuse. Elle introduit aussi une pénalisation des femmes et des médecins.
«Notre éducation est axée sur l’abstention»
«Ces législations ne voient le corps des femmes que comme des outils de production», assure une représentante de la Kumfa (Korean Unwed Mothers' Families Association). Un meilleur accès à l'information, ainsi qu'à la pilule du lendemain, seraient, selon ces activistes, des solutions pour éviter un grand nombre de grossesses non-désirées.
«L'un des principaux problèmes est que notre éducation est axée sur l'abstention de relations sexuelles», continue ce même porte-parole de la KUMFA. «J'ai assisté à des cours durant lesquels le professeur diffusait des vidéos truquées de bébés essayant d'échapper aux ciseaux lors de l'avortement, se rappelle une étudiante et représentante de Femidangdang. On ne nous parle pas des relations sexuelles protégées et des relations saines.»
Le gynécologue Jung-won Yoon, membre du forum sur les droits sexuels et reproductifs, poursuit : «Beaucoup d'écoles de médecine ne veulent simplement pas enseigner l'avortement. Nous n'avons aucun protocole médical pour pratiquer une IVG.» Et d'ajouter : «Si vous restreignez l'accès à l'avortement, les besoins existent toujours et les interruptions de grossesse dangereuses et clandestines vont augmenter.»
Malgré la mobilisation, la décision de la Cour constitutionnelle pourrait aller à l'encontre des pro-choix. Les avis au sein du gouvernement sont partagés. «Avant les élections, le président se disait "féministe", mais en réalité il est anti-queer et anti-homosexuel», déplore l'une des représentantes de Femidangdang.
Le gouvernement divisé
Le ministre de la Justice a assuré devant la Cour que les femmes ne faisaient que faire valoir leur droit au plaisir sexuel sans se soucier de leurs responsabilités. De son côté, le ministre de l'Egalité des genres et de la Famille a déclaré que la criminalisation de l'avortement était anti-constitutionnelle et très dangereuse pour les femmes. Selon Na Young, «nous ne connaîtrons pas la décision finale de la Cour constitutionnelle avant des mois. Tout cela dépendra du contexte politique, mais le gouvernement aura sans doute d'autres priorités.»
Pour les mouvements féministes, il n'est pas question d'abandonner avant la décriminalisation totale des pratiques d'IVG. «Les femmes et filles coréennes ne devraient pas risquer leur santé et leur vie en n'ayant pas accès à des soins basiques ou en ayant recours à des avortements dangereux», alerte Rada Tzaneva, chercheuse spécialiste du genre à Amnesty international.
En 2015, les rassemblements de Séoul faisaient écho aux Black Protests polonais. Aujourd'hui, hasard de calendrier, la révision de la Cour constitutionnelle se tient au même moment que le référendum irlandais sur le droit à l'IVG, ce vendredi.
A lire aussiCorées : qui veut le pèze prépare la paix