On connaissait la discrimination née de la couleur de la peau, moins la discrimination liée à la forme du corps. Elle est permanente, ancienne, diffuse. Mais désormais combattue. S'il y a une aristocratie en France, c'est celle des minces, des fuselés, des filiformes. Les chiffres, les enquêtes, les témoignages sont irréfutables : dans la balance des emplois, des promotions ou de la visibilité médiatique, les maigres pèsent nettement plus lourd que les gros. Quant à la répartition du surpoids dans la société, elle semble tout droit sortie d'un manuel de lutte des classes. Dans l'ancien temps, les riches étaient plus gras que les pauvres à cause du prix des aliments. Quand les famines sévissaient, la rondeur était un signe de supériorité sociale. Les canons du corps féminin étaient à l'unisson : une belle femme était une femme en chair. L'industrialisation de la nourriture a inversé les facteurs. La malbouffe frappe en priorité les mêmes. Les riches sont obsédés par la minceur, les pauvres abandonnés aux affres du surpoids. Les «beautiful people» des magazines ont la peau sur les os, même si une escouade d'actrices moins soumises à la camisole de la maigreur tendent à amender la règle. Ainsi la lutte contre la «grossophobie», un mot désormais entré dans le dictionnaire, est-elle de toute nécessité. Les esprits conservateurs et graveleux ne manqueront pas de moquer de - grasses - plaisanteries cette extension nouvelle du domaine de la lutte contre les discriminations. Ce n'est que mépris ou ignorance. La dynamique des sociétés démocratiques est irrésistible. Dès lors qu'on inscrit au fronton des bâtiments publics le principe d'égalité, la revendication d'un égal traitement touche tour à tour tous les secteurs de la société. Ceux qui étaient négligés, ridiculisés, maltraités par la tradition demandent les uns après les autres le droit à la dignité. Les gros s'y mettent : ce n'est pas un mince progrès.
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