A deux semaines de l’échéance, la préparation de la rencontre entre Donald Trump et Kim Jung-un a des allures de montagne russe. Il y a moins d’une semaine, le président américain a annoncé dans une lettre l’annulation unilatérale du sommet, qui devait se tenir le 12 juin à Singapour. Mais depuis cette missive courroucée, rien n’indique que le sommet est véritablement annulé. Ni qu’il est officiellement maintenu. Ces derniers jours, les manœuvres diplomatiques en plusieurs points du globe se sont largement intensifiées, pour tenter un sauvetage in extremis de la rencontre.
Après la lettre, Kim Kye-gwan, un haut fonctionnaire nord-coréen chargé des négociations sur le nucléaire, a d’abord répondu de manière conciliante à l’hostilité de Trump, faisant baisser ce dernier d’un ton. Le week-end dernier, Kim Jong-un a rencontré pour la seconde fois en un mois le président sud-coréen Moon Jae-in, très engagé dans la résolution du conflit, sur la zone démilitarisée entre les deux Corées. D’autres consultations entre des représentants américains et nord-coréens sont en cours à Singapour, et avec les Chinois à Pékin. Et ce mercredi soir, le bras droit du leader nord-coréen, le général Kim Yong-chol, a rencontré le secrétaire d’Etat Mike Pompeo à New York pour discuter de la tenue du sommet. Aucun officiel nord-coréen de ce rang n’avait foulé le sol américain depuis 2000. D’autres réunions entre les deux hommes sont également prévues ce jeudi à New York.
Sobriquet de cartoon
Depuis des mois, rien ne se passe selon les règles de l'art diplomatique, alors que l'enjeu, la dénucléarisation de la péninsule nord-coréenne, est immense. Le président américain avait d'abord surpris son monde en acceptant, en mars, de participer à un sommet avec le leader nord-coréen. Une rencontre historique, entre la première puissance mondiale et «l'Etat paria», selon la rhétorique des administrations américaines successives depuis des décennies.
Les deux parties avaient ensuite convenu de la date et du lieu, le président américain se félicitant de ce qu'il tenait déjà pour une victoire diplomatique. Qualifiant Kim d'homme «très ouvert» au comportement «très honorable», après l'avoir affublé pendant des mois d'un sobriquet de cartoon, «Little Rocket Man». Et puis, coup de théâtre jeudi dernier : Donald Trump annonce dans une lettre qu'il annule unilatéralement le sommet. «Considérant l'immense colère et l'hostilité affichée dans vos récentes déclarations, j'estime qu'il est inapproprié, en l'état, de procéder à ce sommet tant attendu», écrit le président américain. Avant de menacer : «Vous parlez de vos capacités nucléaires, mais les nôtres sont si énormes et puissantes que je prie Dieu que nous n'ayons jamais à en faire usage.»
«Psychodrame»
«Les turbulences et le psychodrame sur la péninsule coréenne ces dernières semaines défient l'imagination, écrit l'universitaire Jonathan Pollack, spécialiste de la région à la Brookings Institution. Deux faits restent néanmoins incontestables : il n'y a pas encore d'accord entre les Etats-Unis et la Corée du Nord sur les termes du sommet, et le temps presse. Une inquiétude implicite mais incontestable transparaît de ces intenses manœuvres politiques et diplomatiques.» Moins de dix jours avant le départ prévu de Trump pour Singapour, le consensus entre les deux parties, occupées à régler les détails logistiques de la rencontre, semble minuscule. «Le contraste dans le discours et les attentes entre les deux dirigeants reste flagrant», note Jonathan Pollack.
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Chacun projette sur le sommet des objectifs différents. Les Américains parlent de dénucléarisation totale de la péninsule et du démantèlement de toutes les installations nord-coréennes, avec des inspections fréquentes et approfondies. «Pyongyang n'a jamais donné son consentement à tous ces principes, analyse l'expert. Depuis que l'entrée dans la course aux armes nucléaires de la Corée du Nord est devenue le problème principal dans les relations entre Washington et Pyongyang au début des années 90, la Corée du Nord a décrit "la dénucléarisation de la péninsule coréenne" simplement dans des termes politiques [et non opérationnels, ndlr], faisant valoir que le préalable était la cessation de toute "politique hostile" des Etats-Unis, que celle-ci soit ratifiée par un traité de paix entre les deux capitales, avec toute une panoplie d'assurances de sécurité, l'abrogation du traité d'alliance entre la Corée du Sud et les Etats-Unis, et le retrait militaire total des Etats-Unis de Corée du Sud.»
Et quel avenir, dans ces discussions, pour la dynastie Kim, qui dirige la Corée du Nord depuis 1948 ? Malgré les assurances de Trump du maintien au pouvoir de Kim Jung-un, et des promesses d'un futur radieux – «Je crois sincèrement que la Corée du Nord a un excellent potentiel et peut devenir une grande nation économique et financière», tweetait-il le 27 mai – Pyongyang n'a pas oublié que le conseiller à la sécurité nationale de Trump, John Bolton, avait comparé la destinée nord-coréenne avec le «modèle libyen». Le sort funeste de Mouammar Kadhafi, quelques années après la dénucléarisation de la Libye, n'a pas échappé à Kim Jung-un.
«Jalon»
Selon les dernières déclarations du leader nord-coréen, le sommet «vise à faire disparaître les relations hostiles et méfiantes qui durent depuis des décennies, et être un jalon dans l'amélioration des relations» entre les deux pays, cite Jonathan Pollack. Qui conclut : «Kim Jong-un sait ce qu'il attend du sommet. Est-ce le cas pour le président Trump ? Est-il prêt à accepter les risques d'un sommet sans résultats concluants, voire d'un échec complet à Singapour ? Et dans ce cas, quelles seraient les options américaines ?»
La position de Washington reste pour l'instant assez ambiguë. «Le président pense que les discussions en cours se passent très bien, et que les réunions qui se tiennent cette semaine sont certainement un signe de progrès», a avancé la porte-parole Sarah Sanders, lors d'un briefing presse à bord de l'Air Force One mardi soir, rappelant que dans ce contexte, le Premier ministre japonais Shinzo Abe se rendait à la Maison Blanche la semaine prochaine. «La dénucléarisation doit être sur la table et l'objectif du sommet, a-t-elle ajouté. Le président doit sentir que nous progressons sur ce front.» Interrogée sur la lettre d'annulation de Trump, elle a indiqué que l'administration américaine se «préparait» au sommet à Singapour le 12 juin. «Nous nous attendons à ce qu'il ait bien lieu. Si pour une raison ou une autre, il doit avoir lieu plus tard, nous serons également prêts.»