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Libération
Interview

Royaume-Uni : «Les pro-Brexit sont en colère, affolés»

Pour le libéral-démocrate Nick Clegg, ancien vice-Premier ministre britannique, le Parlement a encore la possibilité de s’opposer à la sortie de l’UE. Il espère une alliance avec les travaillistes pro-européens.
Nick Clegg, en Ecosse, en avril 2015. (Photo Dominic Lipinski. PA. AP)
publié le 31 mai 2018 à 19h46

Depuis le premier accord conclu en décembre, les négociations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni sur les conditions du Brexit, prévu pour le 29 mars 2019 à minuit, patinent. En parallèle, l'opinion publique britannique se fait de plus en plus pessimiste sur les conséquences que la sortie de l'UE aura pour le pays. Dans un sondage Guardian-ICM publié mercredi, 45 % des répondants estiment que le divorce aura un impact négatif, particulièrement sur leurs finances personnelles (32 %).

En visite à Paris, le libéral-démocrate Nick Clegg, 51 ans, profondément europhile et qui fut vice-Premier ministre britannique dans la coalition du conservateur David Cameron de 2010 à 2015, rêve de faire marche arrière. Dans cette optique, il est venu en France rencontrer l’équipe d’Emmanuel Macron et des responsables d’En marche.

Prévoyez-vous toujours d’empêcher le Brexit de se produire ?

J’adorerais y arriver, mais je n’ai pas l’autorité nécessaire. Seulement, il y a des chances croissantes pour que les parlementaires britanniques disent non au plan de Theresa May sur le Brexit. Pour différentes raisons. D’abord, parce que le Parti travailliste est de plus en plus mal à l’aise vis-à-vis du soutien de son dirigeant, Jeremy Corbyn, à un agenda politique conservateur : le Brexit. Beaucoup d’électeurs travaillistes n’en veulent pas. Le mouvement syndicaliste craint les conséquences qu’aura la sortie de l’UE sur les salariés et l’industrie britanniques. Les entreprises s’inquiètent des perspectives de baisse des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et son plus grand marché, l’Europe. Les jeunes qui, dans leur majorité, ne veulent pas du Brexit, trouvent de plus en plus leur propre voie politique. Toutes ces dynamiques économiques, générationnelles et politiques, ensemble, pourraient mener à un refus du plan gouvernemental de sortie de l’UE. Les lignes sont en train de bouger. Les prochains mois et semaines avant le vote crucial du Parlement, prévu cet automne, vont être très importants.

Les parlementaires ont-ils le pouvoir de stopper le Brexit ?

Ils peuvent dire oui ou non au plan qui leur est présenté par le gouvernement. De plus en plus d’élus de différents partis ont de sérieux doutes sur la capacité de l’exécutif à établir, d’ici cet automne, les détails de la sortie de l’UE et de la future relation du Royaume-Uni avec l’Union. Bien sûr, si le Parlement rejette le programme de Theresa May, cela provoquera d’importants bouleversements politiques. Cela créerait une paralysie des relations entre le gouvernement et le Parlement. Mais c’est le fonctionnement normal d’une démocratie.

Theresa May envisagerait de différer le Brexit à 2023. Qu’en pensez-vous ?

C’est 2023, demain ce sera 2024. Puis 2027. Personne ne sait, et surtout pas l’exécutif. Deux ans se sont écoulés depuis le référendum. Malgré cela, les membres du gouvernement actuel n’ont toujours aucune idée des arrangements sur les accords douaniers, le marché unique et les traités commerciaux post-Brexit. S’ils n’arrivent même pas à s’entendre entre eux, j’imagine que la période de transition va s’étendre sur bien plus longtemps que ce qu’ils disent. Le Parti conservateur négocie avec lui-même, et non avec le reste de l’UE.

Un nouveau référendum devrait être alors organisé ?

Oui, parce que les électeurs sont souverains. On ne peut altérer le résultat d’un référendum que par un autre référendum. Mais il serait dangereux de l’organiser dans la précipitation et dans une atmosphère de colère. Comme en juin 2016, lorsque David Cameron a organisé le vote sur le Brexit pour trouver une issue à une dispute dans son propre parti.

Dans une tribune, vous dites que les pro-Brexit sont en train de paniquer. C’est-à-dire ?

Le ton que les personnes utilisent est souvent plus révélateur que les mots qu’ils choisissent. En politique, normalement, les vainqueurs sont confiants, mais les pro-Brexit, eux, sont en colère, affolés. Ils essayent de rejeter la faute sur n’importe qui. Ils le font parce qu’ils n’ont pas de réponses aux problèmes posés par le Brexit et que les gens commencent à s’en rendre compte. Le débat va devenir plus acerbe dans les prochains mois. C’est inquiétant, mais c’est aussi une opportunité pour nous, car cela révèle que le momentum politique n’est plus en leur faveur.

Le référendum du Brexit a mis en lumière les inégalités structurelles au Royaume-Uni. Le gouvernement Cameron, dont vous étiez le vice-Premier ministre, en est-il en partie responsable ?

C'est ce que beaucoup de tenants de la gauche disent. Mais il n'y a aucune preuve que ce soit le cas. Les inégalités sont restées au même niveau entre 2010 et 2015. Le chômage, notamment pour les femmes, a diminué. Comme le reste du monde occidental, nous étions en train de nous rétablir de la catastrophe financière de 2008. Cette crise a laissé de profondes cicatrices dans la société. Cela n'a pas été inventé par mon gouvernement. Nous sommes arrivés pour faire le ménage. Mais vous ne pouvez pas construire un énorme centre financier avec d'immenses responsabilités, comme l'a fait le Royaume-Uni, et ne pas réguler le système bancaire, ce que n'ont pas fait les deux gouvernements travaillistes de Tony Blair [1997-2007] et de Gordon Brown [2007-2010]. Cela nous a explosé à la tête. L'argent des contribuables a dû être utilisé pour stabiliser les banques. Comme le reste de l'UE, nous avons dû faire des économies. Nous nous en sommes bien sortis.

The Observer évoque la création d’un nouveau parti centriste. Pourriez-vous en faire partie ?

J’ai eu une belle carrière politique. Il n’est pas question de mes ambitions. Mais il y a de grandes chances pour que dans les prochains mois, la prochaine année, on voie la scission d’un groupe du Parti travailliste. Beaucoup de parlementaires du Labour ne veulent pas du tout voir Jeremy Corbyn devenir Premier ministre. Ce n’est pas tenable. Cette scission est donc possible. S’ils sont audacieux, fidèles à l’UE et prêts à mettre en place de profondes réformes constitutionnelles, ils pourraient réussir à former un large rassemblement.