Menu
Libération
Changement climatique

Les ONG appellent les assurances à arrêter le business des énergies fossiles

A l'occasion d'une réunion des plus grands assureurs mondiaux, plusieurs ONG se mobilisent pour les interpeller sur les questions climatiques, et plus particulièrement le cas des sables bitumineux.
Manifestation contre l'extension de l'oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan, à Burnaby en Colombie-Britannique, au Canada, le 10 mars. (Photo Jason Redmond. AFP)
publié le 1er juin 2018 à 17h42

Jeudi matin, les militants de la campagne Unfriend Coal étaient réunis dans le hall de l'hôtel parisien où se tient l'assemblée annuelle de l'Association de Genève, un groupe de réflexion qui rassemble 80 PDG des plus grandes assurances mondiales. «Soyez leaders dans la lutte contre le changement climatique», peut-on lire sur leurs pancartes. Leur but ? Convaincre les assureurs d'arrêter d'investir et d'assurer les projets en lien avec toutes les énergies fossiles, plus particulièrement le charbon et les sables bitumineux. Sans assurance, impossible de mettre en place ce genre de projets.

«Une vingtaine de banques ont déjà adopté des restrictions sur le financement de projets d'énergies fossiles, explique Lucie Pinson, chargé de campagne pour Unfriend Coal. Les assureurs sont en retard.» Le projet actuellement dans leur ligne de mire : l'extension de l'oléoduc Trans Mountain au Canada, qui traversera les provinces de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, parallèle à un oléoduc déjà existant. Il permettrait de transporter le sable bitumineux extrait dans l'Alberta (qui regroupe 70% des ressources mondiales) jusqu'aux raffineries des Etats-Unis, puis jusqu'à l'océan pour être exporté.

Le gouvernement de Justin Trudeau a annoncé mardi son intention de payer 1,1 milliard de dollars canadiens (environ 725 millions d'euros) à l'entreprise Kinder Morgan, soit la somme qu'elle a dépensée pour cet oléoduc, et 3,4 milliards supplémentaires (2,25 milliards d'euros) en dédommagement pour avoir abandonné les droits aux futurs bénéfices de l'expansion. Kinder Morgan avait donné au gouvernement canadien jusqu'au 31 mai pour trouver une solution au blocage du projet, sans quoi elle se retirait. Reuters a révélé que l'entreprise s'était mise d'accord avec les treize producteurs qui ont réservé l'utilisation de l'oléoduc pour qu'ils couvrent 80% des coûts, même si l'oléoduc n'est au final pas construit.

Un business très polluant

L'extraction et le traitement du sable bitumineux créé 2,2 fois plus d'émissions de gaz carbonique que le pétrole, selon un rapport publié jeudi par Unfriend Coal. Il y a actuellement deux autres projets d'oléoducs au Canada : Keystone XL et l'oléoduc de remplacement d'Enbridge. S'ils voient tous le jour, cela dégagerait 400 millions de tonnes de CO2 par an. Autre problème soulevé par le projet Trans Mountain de l'entreprise Kinder Morgan : il traverse les territoires de populations autochtones du Canada, les Premières Nations. Ska-Hiish Manuel, délégué du Réseau autochtone sur l'économie et le commerce pour la Première Nation Secwepemc (en Colombie-Britannique), est ainsi venu à Paris défendre les droits de sa communauté : «Le gouvernement canadien a unilatéralement approuvé cet oléoduc, et viole notre droit à l'autodétermination», confie-t-il à Libération.

«Pour transporter le sable bitumineux, ils mettent des produits chimiques dedans, et cela pollue les rivières, explique Ska-Hiish Manuel. On ne peut plus pêcher les saumons, cela menace notre moyen de subsistance.» A ses yeux, le projet d'oléoduc est un désastre écologique. «Les risques de fuites sont majeurs. Depuis la construction du premier oléoduc dans les années 60, il y a eu 82 fuites», met-il en avant. Et d'ajouter : «La dernière en date, c'était dimanche. Quand vous avez un oléoduc, vous pouvez être sûrs que vous aurez des fuites. Il y a aussi le risque que les parcs de stockages, au bout de l'oléoduc, prennent feu, ou qu'il y ait des fuites dans l'océan.»

Lors de sa candidature auprès du bureau canadien de l'énergie, l'entreprise Kinder Morgan a dévoilé le nom de vingt-cinq entreprises qui assuraient ses affaires en 2014. On y trouve des grands noms comme Swiss Re (Suisse), AIG (Etats-Unis), SCOR (France), Great Lakes (une filiale de l'allemand Munich Re, très impliqué dans le charbon polonais) ou encore XL Insurance (très impliqué dans les énergies fossiles, et en instance de rachat par AXA, à l'inverse en plein désengagement de ce genre d'entreprises).

Nombreuses sont donc les assurances encore impliquées dans le business des énergies fossiles. Même si, comme le souligne le dernier rapport d'Unfriend Coal, «Heads in the sand ?», «Dans les dernières années, dix-sept acteurs majeurs du milieu ont désinvesti environ 23 milliards de dollars de compagnies de charbon, et cinq – dont AXA et Allianz – ont arrêté d'assurer de nouveaux projets de charbon ou sont sur le point d'arrêter.» Concernant les sables bitumineux, AXA est la seule entreprise à avoir arrêté d'assurer ces projets et les oléoducs et a désinvesti 700 millions de dollars, et Swiss Re a arrêté d'assurer de nouveaux projets de sables bitumineux.

Des assureurs plus transparents

Plus généralement, un récent rapport de l'initiative Asset Owners Disclosure Project (AODP) en partenariat avec l'ONG d'activisme actionnarial ShareAction note la position des quatre-vingts plus grands assureurs mondiaux en matière de changement climatique. Elle place les entreprises européennes en tête du classement, notamment AXA, Aviva, Allianz et Legal & General. Seul le Japonais Tokio Marine arrive à se glisser dans le top 10. Les Etats-Unis sont le plus à la traîne, puisque tous les assureurs américains sauf trois se trouvent en bas du classement.

Malgré tous ces progrès apparents, les stratégies d'investissements de neuf assureurs sur dix sont jugées insuffisantes pour atteindre les objectifs des accords de Paris. Autre fait marquant : seule une firme sur trois mesure les émissions carboniques de son portfolio d'investissements. Bien que 56% des assureurs disent investir dans des projets à faible émission de CO2, ces investissements ne représentent que 1% du total.

En 2016, Ban Ki-moon, alors secrétaire général de l'ONU, avait fixé des objectifs à l'industrie de l'assurance : mesurer l'empreinte carbone des portfolios d'ici 2020 et décarboniser les investissements, et doubler les investissements en énergie renouvelable d'ici 2020. Le rapport de l'AODP conclut qu'au vu des engagements pris à l'heure actuelle, ces deux objectifs ne seront pas atteints dans les délais fixés.