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Libération
Interview

PAC : «Il n’y aura pas de fragmentation du marché agricole européen»

Dans le vignoble de Château Troplong Mondot, le 26 avril. (Photo Georges Gobet. AFP)
par Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles
publié le 1er juin 2018 à 13h21

Le commissaire européen à l’agriculture, l’Irlandais Phil Hogan, explique en exclusivité pour Libération sa réforme de la Politique agricole commune (PAC).

Vous serez le premier commissaire, depuis 1958, à présider à une baisse du budget de la PAC Quel effet cela fait-il ?

Je suis sans aucun doute le premier commissaire à l’agriculture confronté au départ d’un Etat membre. Et malheureusement, comme il s’agit d’un grand pays, le Royaume-Uni, il laisse derrière lui un trou de 12 milliards d’euros par an qu’il faut combler. A cela s’ajoute le fait que les Etats veulent que l’Union s’occupe davantage de nouvelles priorités, comme l’immigration ou la défense, ce qui est légitime. Ces deux éléments ont des conséquences budgétaires, même si on peut le regretter.

Cela n’aurait pas été le cas si la Commission s’était montrée plus ambitieuse, par exemple en proposant un budget à 1,20% du PIB communautaire, un chiffre avancé par Jean-Claude Juncker en septembre, ce qui aurait évité des coupes dans la PAC. Or elle se contente d’un petit 1,08%, soit le niveau actuel.

J’aurais été ravi d’avoir un budget plus important, ce qui m’aurait évité de faire des coupes dans les dépenses agricoles. Mais nous sommes dépendants des Etats membres et de leurs contributions. Or six d’entre eux, dont l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas, la Suède ou encore la Finlande, ont refusé tout effort supplémentaire. Six sur vingt-sept, c’est une minorité, mais l’accord sur le cadre financier pluriannuel requiert l’unanimité. Néanmoins, j’espère que les négociations vont permettre d’aboutir à un accord plus ambitieux. Je suis très optimiste sur ce point, ce qui nous permettra de réduire voire de supprimer l’impact de la proposition actuelle pour les agriculteurs.

A l’heure actuelle, la PAC souffre particulièrement…

Son budget, dans notre proposition, se monte à 365 milliards d’euros pour la période 2021-2027, ce qui, au niveau des prix actuels, représente une baisse de 5%. Si la contribution de l’Union au second pilier, celui consacré au développement rural, diminue de 15%, les aides au revenu ne baisseront que de 3,9% au maximum.

Mais le Parlement européen affirme que la baisse des aides directes est de 15%…

C’est une «fake news ». Mais je vois bien comment ce chiffre est obtenu : alors que la PAC n’a jamais été indexée depuis soixante-deux ans, certains se mettent à le faire pour donner l’impression que la baisse est plus importante. Ce calcul ne repose sur rien.

Avec votre réforme, la PAC sera gérée pour l’essentiel par les Etats membres et non plus par Bruxelles…

Peu de gens savent que déjà 50% des dépenses actuelles de la PAC sont décidées par les Etats membres. Surtout, les agriculteurs et les Etats membres ont constaté que la réforme de 2013 a créé beaucoup trop de complexité pour tout le monde. Mon but est donc de simplifier la PAC, de la rendre plus compréhensible et plus cohérente pour les agriculteurs. C’est pour cela que je veux mettre en place un nouveau système de mise en œuvre basé sur les résultats, un système qui n’est plus axé sur la conformité à des règles décidées ici, ce qui a créé une atmosphère de peur chez les agriculteurs. Nous allons désormais demander aux Etats membres de se conformer à neuf objectifs (trois économiques, trois environnementaux et trois sociaux). Pour cela, ils devront nous présenter des programmes de mise en œuvre que nous approuverons et dont nous contrôlerons la réalisation. Il s’agit d’un grand changement : une politique définie au niveau européen, une mise en œuvre effectuée au niveau national. Ce point est vu d’un œil positif par les agriculteurs, les Etats membres et le Parlement européen.

Est-ce qu’il n’y a pas un risque que chaque pays mette l’accent sur des objectifs contradictoires, par exemple l’un privilégiant les objectifs environnementaux pendant que l’autre pousse à la productivité, ce qui à terme se traduira par une fragmentation de l’Europe agricole ?

Je comprends que cela puisse être une préoccupation. C’est pour cela que nous précisons bien que la PAC restera commune et que nous veillerons à ce que ces objectifs n’aient pas d’effets néfastes sur la concurrence et la compétitivité. J’insiste : il n’y aura pas de fragmentation du marché agricole européen puisque les décisions politiques continueront à se prendre au niveau communautaire. Le principe de subsidiarité sera appliqué seulement au niveau de la mise en œuvre.

Cette réforme ne vise-t-elle pas aussi à rendre les Etats responsables de la PAC pour éviter que la colère paysanne se tourne systématiquement contre Bruxelles ?

C’est vrai, notre réforme va donner plus de responsabilité aux Etats ce qui les obligera à rendre compte de leurs décisions ce qui sera fort inconfortable pour certains ministres qui avaient pris l’habitude de se défausser sur «Bruxelles». Mais l’objectif premier reste vraiment de simplifier la PAC, d’introduire plus d’équité entre les agriculteurs, de réformer la chaîne alimentaire pour un meilleur partage de la valeur ajoutée, d’encourager davantage d’investissement dans les zones rurales.

Votre réforme porte une attention particulière aux jeunes agriculteurs…

Ce sera la première fois que la PAC se pose la question du renouvellement des générations. Il faut savoir que seulement 6% des agriculteurs européens ont moins de 35 ans, ce qui montre l’ampleur du défi que nous affrontons. Un des neuf objectifs que nous proposons concerne donc le soutien aux agriculteurs de moins de 40 ans : chaque pays devra s’engager à aider, en consacrant 2% de l’enveloppe qu’il recevra, un certain nombre d’entre eux à s’installer. Le budget agricole continuera à majorer les aides directes pour ceux qui s’installent pour la première fois et fera passer l’aide à l’installation de 75 000 à 100 000 euros. Mais c’est un sujet qui concerne aussi les Etats puisque nous n’avons pas de compétence en matière de fiscalité, notamment pour créer des incitations à l’installation, de transmission de l’exploitation, d’accès à la terre.

Vous proposez aussi de plafonner les aides directes à 100 000 euros par exploitation et par an avec une dégressivité à partir de 60 000 euros…

Je crois qu’il faut instaurer de l’équité et de la justice dans la distribution des aides. Les contempteurs de la PAC lui reprochent de distribuer 80% des aides à 20% des agriculteurs : un rééquilibrage est nécessaire, notamment en Europe de l’Est, au bénéfice des petites et des moyennes exploitations. Ce sera un point dur de la négociation à venir.