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Portrait

Pedro Sánchez a revanche d’un ex-loser «à l’orgueil très fort»

Ex-basketteur et docteur en économie, le chef du parti socialiste a su déjouer tous les pronostics pour devenir le nouveau Premier ministre d’un pays paralysé par la crise politique.
publié le 1er juin 2018 à 20h56

«J'ai toujours appris à donner le maximum de moi-même jusqu'à ce que l'arbitre siffle la fin de la rencontre.» C'est dans une récente entrevue, répondant à une question sur son trait de caractère dominant, que celui qui, à 46 ans, va prendre les commandes de l'Espagne, faisait cette confidence. La métaphore fait référence à son passé de basketteur, lorsque, jusqu'à l'âge de 21 ans, Pedro Sánchez, 1,90 mètre, évoluait dans l'équipe d'Estudiantes, à Madrid, l'un des meilleurs clubs du pays.

Phénix. Secrétaire général du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) depuis mai 2017, Pedro Sánchez a une expression favorite, également d'inspiration sportive : «Je ne crois qu'à cette stratégie : ne penser qu'au match suivant.» Un plagiat de Diego Simeone, l'entraîneur de l'Atlético Madrid, dont le chef de file socialiste est un fervent supporteur. Avec le coach argentin, surnommé El Cholo («l'Indien»), Pedrio Sánchez a en commun la fougue, mais surtout la résistance et la persévérance. «Il ne se donne jamais pour vaincu, souligne le politologue José María Garrido. Les obstacles et les déconvenues peuvent s'accumuler, il n'abdique pas, il se bat jusqu'au bout comme un possédé.»

Et cela porte ses fruits. A priori, à suivre sa récente trajectoire et en dépit de son physique avenant de Don Juan madrilène, Sánchez avait tout du loser. En décembre 2015, face au Parti populaire (PP) amoindri de Mariano Rajoy, il essuie un échec retentissant avec 85 députés sur 350, le pire résultat du PSOE depuis le retour de la démocratie. En juin 2016, alors qu'ont lieu des élections générales anticipées, il perd de nouveau le scrutin et n'obtient que 84 sièges. Il tente alors de former un gouvernement minoritaire avec les radicaux de Podemos, qui l'envoient sur les roses et menacent de lui infliger un sorpasso («dépassement») historique.

Son chemin de croix continue puisque, en octobre de la même année, il est écarté par les cadres de son parti, qui supportent mal son style perso, son ambition démesurée, son mépris des barons régionaux et son invocation incessante aux bases - «Je ne suis et ne serai fidèle qu'aux militants», répète-t-il à l'envi. A ce moment-là, tout le monde pense que Sánchez est un cadavre politique. C'est mal connaître ce docteur en économie, «dévoré d'ambition et à l'orgueil très fort», comme le décrit un député PSOE qui le connaît bien : c'est lorsqu'il est au plus bas que ce phénix à la volonté d'acier renaît de ses cendres.

Son retour survient le 21 mai 2017. Sa chance tient à l'esprit du temps, qui veut qu'au nom de la démocratie interne et sur fond de défiance des appareils, s'imposent des primaires. Celui qui a déjà sillonné toutes les capitales de province et a goûté aux bains de foule dans les endroits les plus reculés, surprend son monde en battant Susana Díaz, la toute-puissante présidente régionale de l'Andalousie, adoubée par les barons et par Prisa, grand groupe de communication (El País, la radio Ser…) qui soutient d'ordinaire les candidats socialistes. «Sa bonne fortune lui a donné l'occasion de jouer un rôle central, analyse le politologue Fernando Vallespín. Sánchez a parié sur un rapprochement avec les militants, qui lui ont conféré le pouvoir.»

Changement. Son flair politique, qui lui donne une envergure que peu soupçonnaient, même au sein de sa formation, a fait le reste. Lorsque, la semaine dernière, le tribunal de l'Audience nationale a condamné 29 anciens dirigeants du Parti populaire à un total de 351 années de prison pour corruption, Pedro Sánchez y a vu l'opportunité en or de faire tomber son grand rival, Mariano Rajoy, qui s'arc-boute au pouvoir depuis sept ans malgré une avalanche d'affaires. Cet homme marié et père de deux filles, issu d'une classe moyenne aisée, a gagné son pari : apparaître comme l'homme du changement. Pour l'instant.