Sa cavale a tenu le Japon en haleine durant près d'un mois. Tatsuma Hirao, 27 ans, s'était fait la belle et demeurait introuvable. Il laissait bien des indices de-ci de-là, tel ce mot laissé au propriétaire d'un véhicule : «J'emprunte votre voiture mais je ne l'abîmerai pas.» Le fugitif a échappé durant trois semaines à plus d'un millier de policiers déployés sur une île de 23 km2. Dans un pays peu habitué aux évasions et encore moins à une telle chasse à l'homme, ce n'est pas tant l'inquiétude qui régnait qu'une forme d'amusement mâtiné d'incrédulité.
Le 8 avril, à 6 heures du soir, Tatsuma Hirao quitte donc la prison Matsuyama à Imabari, dans la préfecture d'Ehime au sud du Japon, où il purge une peine jusqu'en 2020 pour vol et autres délits. «L'homme a été aperçu sur les caméras de vidéosurveillance s'échappant du dortoir», a expliqué le directeur de l'établissement, Mutsuhiro Kawauchi. Aucune prouesse dans cette escapade, car la prison n'est pas tout à fait comme les autres. Ni murs d'enceinte, ni barreaux aux fenêtres, ni cadenas aux portes. «C'est un établissement ouvert, où les détenus peuvent se déplacer librement, reprend le directeur. On leur fait confiance, on estime qu'ils sont capables de contrôler leur envie d'évasion.» Seuls vingt d'entre eux s'en sont échappés depuis l'inauguration des lieux en 1961.
Caillou
Une voiture volée, retrouvée plus tard à une cinquantaine de kilomètres au Nord, sur l’île Mukaishima, incite d’emblée la police à concentrer les recherches sur cette zone vallonnée de 20 000 habitants. Tatsuma Hirao aurait emprunté la Setouchi Shimanami Kaidô, une chaîne de ponts prisée par les cyclistes qui relie l’île de Shikoku à celle d’Honshu. Le parcours de 70 kilomètres enjambe un chapelet d’îlots de la mer intérieure du Japon, Mukaishima étant le tout dernier. C’est là, sur ce caillou recouvert d’arbres fruitiers, que l’incroyable feuilleton débute et s’étire. Une autre voiture dérobée. Des chaussettes, un téléphone portable et des sandales qui disparaissent. Jusqu’à 12 000 personnes mobilisées quotidiennement pour les recherches. Mais point de fugitif.
Au seizième jour, 450 policiers et 16 chiens sont encore en alerte. Les routes qui sillonnent l'île ainsi que les gares maritimes sont surveillées. Le ministère de la Justice a dépêché des fonctionnaires pour garder les crèches et les écoles. Les habitants bougonnent car les survols d'hélicoptère font trop de bruit. «Je ne suis pas sûr qu'il soit encore sur l'île, soufflait un officier. Mais nous n'avons pas la preuve qu'il n'y est plus alors nous devons maintenir le niveau de mobilisation actuel.» Le fugitif expliquera plus tard qu'il était en réalité caché, sur l'île aux mille habitations vides, dans le grenier d'une maison de vacances…
La cavale s’achève le 30 avril à Hiroshima, à 150 kilomètres par la route de la prison d’Imabari. A 11 h 25, l’employé d’un cybercafé signale à la police qu’un homme ressemblant au fugitif a été vu près de la gare d’Hiroshima. A 11 h 37, Tatsuma Hirao est arrêté alors qu’il marche dans la rue. Il tente de fuir et d’escalader le mur d’une école primaire, mais se fait rattraper.
Comment donc a-t-il pu quitter l’île qui était cernée par la police ? Après son arrestation, il a affirmé avoir nagé de Mukaishima à Honshu dans la nuit du 24 avril. Là où le bras de mer est le plus étroit, la distance entre l’île et l’autre rive n’est que de 200 mètres. Et par chance il pleuvait ce jour-là, il n’a donc semblé étrange à personne qu’un homme se promène trempé de la tête au pied. Tatsuma Hirao a volé un vélo et pris un train pour Hiroshima, ultime étape de son incroyable course. Il s’est dit presque soulagé de cet épilogue, car il était épuisé après ses vingt-trois jours de cache-cache avec un total de 15 500 policiers.
Larcin
A la suite de cet incident, le gouvernement envisage de mettre un GPS aux détenus des quatre prisons ouvertes de l’Archipel. Mais il n’est guère évident de renforcer la surveillance dans des structures dont le principe même est d’encourager les détenus à devenir autonomes dans un environnement sans contrainte.
«Les prisons ouvertes correspondent à la semi-liberté répandue en France, où les détenus travaillent le jour et dorment le soir en cellule, précise Kazumasa Akaike, spécialiste des établissements pénitentiaires à l'université Ryukoku de Kyoto. Elles rassemblent au Japon 1 % des détenus, qui ont des profils idéaux et sont soigneusement choisis.» Entre 2011 à 2016, la prison Matsuyama n'a eu que 6,9 % de récidivistes à la sortie, ce qui est nettement inférieur à la moyenne nationale de 41,4 %. «Ces prisons pourraient toutefois accueillir le double de détenus, reprend le chercheur. Notre système pénitentiaire est très en retard. Un traitement classique des peines est privilégié, avec des prisons fermées et une discipline sévère. Ce caractère sécuritaire de la société japonaise est très gênant.»
Tatsumo Hirao, qui a commis un menu larcin et une cavale plutôt héroïque, affirme s'être évadé parce qu'il était «dégoûté» des relations humaines. Il évoluait dans des pièces non verrouillées, travaillait sur un chantier naval avec d'autres employés. Mais il souffrait de se sentir trop surveillé par ses congénères auxquels il aurait préféré, dit-il, la compagnie… des quatre murs d'une cellule.