Privatisations, ouverture économique, fin de conflit avec l’Erythrée… Depuis son élection en avril, Abiy Ahmed, le nouveau Premier ministre éthiopien, a lancé un vent de réformes dans le pays. «Le gouvernement éthiopien a décidé de mettre en œuvre pleinement l’accord d’Alger [signé en 2000 pour mettre fin au conflit avec son voisin érythréen] et les conclusions de la Commission sur la démarcation de la frontière», a déclaré via un communiqué l’EPRDF (Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien), la coalition au pouvoir. Restaurer la paix avec l’Erythrée était une promesse martelée par Abiy Ahmed lors de son discours d’investiture en avril.
En raison de divergences sur la démarcation de leur frontière, la guerre fratricide entre les deux pays voisins a fait au moins 80 000 morts entre 1998 et 2000. En accédant à l'indépendance en 1993, l'Erythrée a privé l'Ethiopie de son unique façade maritime sur la mer rouge. En 2000, un accord de paix a donc été signé à Alger puis une commission d'arbitrage soutenue par l'ONU avait tranché sur le tracé de la frontière, attribuant notamment la localité de Badme, point de contentieux entre les deux pays, à l'Erythrée. Mais en dépit de l'accord, l'Ethiopie continuait jusqu'à présent d'occuper la ville.
Pour René Lefort, chercheur indépendant et spécialiste de l'Ethiopie, la décision d'honorer la frontière avec l'Erythrée «est un changement tout à fait fondamental. L'EPRDF a annoncé qu'ils allaient négocier sans hésitation. Jusqu'alors, la position de l'Ethiopie était d'accepter "en principe" la démarcation décidée par la commission internationale d'arbitrage. Mais l'Erythrée avait demandé à Addis Abeba d'évacuer les villes et les contrées occupées, et qu'après seulement ils pourraient discuter. Aujourd'hui, c'est le point le plus clair du changement».
Levée de l’Etat d’urgence
Avant la publication du communiqué, mardi, le Parlement éthiopien a voté la levée de l'état d'urgence décrété par le gouvernement au lendemain de la démission de l'ancien Premier ministre, en février. En 2015 et 2016, le pays a été le théâtre des plus importantes manifestations antigouvernementales depuis vingt-cinq ans, notamment en raison des fortes tensions ethniques. Leur répression a fait au moins 940 morts, selon la Commission éthiopienne des droits de l'Homme, liée au gouvernement.
«Les tensions ethniques sont un feu qui couve sous la cendre en Ethiopie», rappelle René Lefort. Le 27 mai, quatre personnes ont été tuées et au moins 250 foyers oromos ont été incendiés dans la province de Harargue. L'œuvre de la police de la région Somali. «Silence total de la part de Abiy Ahmed ! Est-ce que les tensions ethniques sont des événements qui le dépassent ? Sur ce front, il n'est pas présent», déclare le chercheur.
Ancien ministre des sciences et technologies de l'information, Abiy Ahmed est né de père oromo-musulman et d'une mère amhara. C'est la première fois qu'un représentant de l'ethnie majoritaire des Oromos accède à la tête du pouvoir en Ethiopie. Il a succédé à Haile Mariam Desalegn, qui a démissionné en février, après trois ans de troubles majeurs.
Cap vers le libéralisme
Enfin, le pays a également décidé d'ouvrir le capital des grandes entreprises publiques, dont la compagnie aérienne Ethiopian Airlines. Une opportunité pour l'aéroport d'Addis Abeba devenu un hub. Le pays tire profit de sa situation géographique privilégiée pour les lignes à destination du reste de l'Afrique, de l'Europe, du Moyen-Orient mais aussi de l'Asie. Cette décision concerne également Ethio Telecom, l'entreprise publique de télécoms, et la compagnie d'électricité publique. La coalition au pouvoir a par ailleurs précisé mardi que les chemins de fers, les parcs industriels et nombre d'usines publiques pourraient être complètement privatisés. De quoi aiguiser l'appétit du groupe de télécoms africain MTN, qui n'a pas caché son intérêt de cette prochaine ouverture du marché éthiopien.