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Interview

Frédéric Mérand : «Un cercle restreint de moins en moins représentatif»

Pour le spécialiste des relations internationales Frédéric Mérand, le G7 n’est pas essentiel mais sert à mobiliser les énergies autour de projets.
publié le 7 juin 2018 à 20h36

Frédéric Mérand est directeur du Centre d'études et de recherches internationales de Montréal. Spécialiste des relations internationales, il revient pour Libé sur les enjeux de ce G7.

Le G7 a-t-il toujours de l’influence ?

On peut se poser la question de sa légitimité. Lorsque Henry Kissinger, alors secrétaire d’Etat, a pensé le G7 (G5 à l’époque) dans les années 70, il voulait créer un club qui se substituerait au Conseil de sécurité de l’ONU et viendrait appuyer l’action américaine. Sauf que ce n’est pas ça. C’est un endroit où les dirigeants peuvent normalement, en faisant exception de Trump, échanger avec franchise dans un cadre agréable. Le G7 est un cercle restreint de moins en moins représentatif des enjeux mondiaux.

Avec toujours un temps de retard…

Toujours un léger décalage, mais instructif. Le G7 a été structuré de manière à ce que ça ne soit pas un lieu d’anticipation. L’évasion fiscale a été évoquée au début des années 2010 alors qu’il y a déjà beaucoup d’affaires. Cet agenda est révélateur de ce que sont les préoccupations des dirigeants au moment donné.

Quels sont les enjeux de ce G7 ?

A l’origine, il était vu comme une façon d’assurer la gouvernance mondiale entre les pays les plus industrialisés. Aujourd’hui, c’est un lieu où les dirigeants peuvent se parler dans un cadre décontracté, informel, en tenant les médias à l’écart. Il y a un ordre du jour, mais pas nécessairement suivi de manière scrupuleuse. Le G7 est devenu une espèce de club social qui produit des initiatives qui peuvent être financées dans l’année. C’est ce qu’ils appellent les «produits livrables». On attend cette année une charte sur la lutte contre le plastique dans les océans. Le sommet n’est pas essentiel, mais il sert à mobiliser les énergies autour d’un projet comme celui-là.

Passe-t-on d’une diplomatie de salon à une diplomatie d’opposition ?

Les Canadiens font tout pour diminuer les attentes d’un communiqué final. Si des synthèses émergent, ce seront sur des questions qui sont déjà tellement consensuelles que ça ne va étonner personne. Si la personnalité de Trump est imprévisible dans ce genre de contexte, il y a peu de chance que Macron ou Trudeau s’y confrontent. Ils sont encore dans l’illusion qu’en continuant de parler avec lui, ils vont peut-être réussir à le convaincre de bouger sur certains points. Si on adhère à cette thèse, alors le G7 demeure un événement assez important.

Quelle stratégie adopter face à un Trump si déroutant ?

La stratégie des Européens est celle de l’atermoiement. Ils espèrent faire durer cette situation en repoussant les échéances pendant les deux grosses prochaines années de mandat qu’il lui reste. On le voit très bien avec les renégociations de l’accord de libre-échange nord-américain. Les Etats-Unis font des demandes absolument incroyables, en partie parce que le Canada cherche à gagner du temps.

Trump est-il un architecte de la démondialisation ?

Le principal problème pour ses partenaires n’est pas forcément la démondialisation. C’est plutôt que Trump remette en question les principes mêmes des relations internationales, comme celui de la parole donnée. La dénonciation de l’accord sur le climat, ou, pire, celui avec l’Iran sur le nucléaire, l’illustre. L’accord avait été validé par le Conseil de sécurité mais Washington l’a rompu. Admettons qu’il fasse une concession aujourd’hui, que fera-t-il demain ?

Quel impact a eu l’exclusion de la Russie du G8 ?

Tout le monde pensait que son éviction en 2014 allait favoriser la solidarité du G7. L’arrivée de Trump montre que ce n’est pas nécessairement le cas. Avec Poutine, il participe à une remise en question de l’ordre international libéral.

Faut-il conserver le G7 ?

Si l’idée est que ce soit un lieu pour piloter le monde, alors le G7 est dépassé. C’est un rendez-vous utile pour permettre à des démocraties capitalistes avancées de se rencontrer dans un cadre informel. Et une façon de garder un contact personnel entre dirigeants.