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Libération
Proche-Orient

A Gaza, des cerfs-volants palestiniens contre des drones israéliens

Quatre Gazaouis ont été tués vendredi alors qu'a repris la «Marche du retour», que le Hamas a fait coïncider avec la «Journée de Jérusalem» instaurée par Téhéran.
Dans la bande de Gaza ce vendredi. (Photo Mohammed Abed. AFP)
publié le 8 juin 2018 à 19h31

Le regard, cette fois-ci, n'est pas à l'horizon de l'autre côté des barbelés mais dans les airs, où se joue la bataille du jour. Le cerf-volant palestinien contre le drone israélien. L'engin téléguidé s'est emmêlé dans la longue ficelle tirée par une bande de jeunes, à quelques centaines de mètres de la mortelle frontière. La moitié d'entre eux a le visage masqué, par un keffieh ou l'un de ces masques grimaçants rendu célèbre par le groupe Anonymous, visibles partout ici, dans le camp de Malaka, à l'est de Gaza City. La foule s'agite, crie − on tire sur la corde comme on mouline une canne à pêche jusqu'à ce que le drone s'écrase dans un chaos de cris et de corps s'arrachant le trophée. Enième remake du David contre Goliath – sauf que ces cerfs-volants incendiaires, toujours plus sophistiqués, ont réussi ces dernières semaines à réduire en fumée plus de 910 hectares de champs et de parcs naturels israéliens.

Dans la chaleur étouffante et la torpeur du ramadan, le Hamas a donc tenté de redonner vie et forme à la «Marche du retour», mobilisation hebdomadaire à la frontière de l’enclave sous blocus avec Israël, lancée fin mars et réprimée à balles réelles par les snipers israéliens. Après la sanglante répression du 14 mai – plus de 65 Palestiniens tués en un jour –, le Hamas a mis un frein à la mobilisation. Officiellement pour faire place au deuil et au ramadan, mais surtout pour éviter l’escalade militaire. Le 29 mai, chaque camp était au bord du précipice : les factions de l’enclave tirant des dizaines de roquettes sur Israël et Tsahal répliquant en bombardant une soixantaine de sites militaires du Hamas, sans qu’aucune victime ne soit à déplorer de part et d’autre. La «Marche» donc, devait reprendre mardi. Et puis, au dernier moment, le Hamas – qui ne fait plus mystère de sa mainmise sur ce mouvement à l’origine apolitique – a décidé de la faire coïncider avec la «Journée d’Al Quds», Jérusalem en arabe, rendez-vous annuel instauré par Téhéran et suivi d’ordinaire uniquement par le Hezbollah libanais et le Jihad islamique, la plus «iranienne» des factions palestiniennes. De quoi conforter les derniers éléments de propagande israélienne, pour qui le Hamas n’est qu’un pantin des mollahs.

Fantassins 

Vendredi après-midi, ils étaient donc à nouveau plusieurs milliers (10 000 selon l'armée israélienne) le long des barbelés. Loin de l'objectif – totalement irréalisable – du «million pour Jérusalem», mais sans doute moins aussi que les factions ne l'espéraient, les leaders du Hamas et du Jihad islamique se pressant au micro des télés palestiniennes pour minorer la mobilisation en demi-teinte, tout en envoyant leurs salutations à l'Iran.

Sur place, si l’on retrouve quelques familles, de vieux hommes en tenue traditionnelle qui jurent que leur seule faction «C’est la Palestine», des femmes, des enfants et même un sosie de Yasser Arafat au déguisement soigné, on garde l’impression tenace que les visages ont changé, que la sociologie de la foule a évolué.

En début d'après-midi, à la sortie d'une des principales mosquées de Gaza City, des enceintes diffusaient à plein volume des appels à manifester sous fond d'hymne patriotique, pendant que les bus se remplissaient doucement. Pour la plupart des jeunes hommes, barbes drues et sandales au pied. Profil-type des fantassins du Hamas, visiblement envoyés pour faire le nombre. Arrivé à Malaka, on se masse sous une grande bâche où les prêches s'enchaînent sous le regard du politburo du Hamas réuni quasiment au complet, et son leader, Ismaïl Haniyeh, au centre, dans une ambiance de meeting sans fin. Devant la tente, des hommes installent à la va-vite un filet de volley-ball pour une opération photo : Khalil al-Hayya, l'adjoint d'Haniyeh, vient frapper quelques services avec les shebabs. Aussitôt fait, filet démonté. «C'est la foire du Hamas, l'invasion des petits hommes verts», raillent une paire de journalistes palestiniens en aparté. Le Hamas, de plus en plus discrédité aux yeux des Gazaouis, semble avoir peiné,au-delà de ses partisans, à mobiliser une population traumatisée .

«On n’a pas de travail, on a tout le temps pour ça»

Tout près de la frontière, une foule d'hommes se masse, statiques, derrière l'épais rideau de fumée noire des pneus qui se consument dans une tranchée. Parmi les participants, les slogans n'ont pas guère changé. On évoque pêle-mêle le «droit au retour» sur les terres qui sont aujourd'hui Israël, «l'arrogance de Donald Trump» ou les «crimes de l'occupant israélien». On promet de continuer à se réunir là, chaque vendredi, pour les mois ou les années à venir. «De toute façon, on n'a pas de travail, on a tout le temps pour ça», énonce, bravache, Abu Muhtassem, 35 ans, six enfants et une grosse barbe noire qui sort du keffieh lui enveloppant le visage.

La distance avec les snipers israéliens allongés sur les monticules a rarement été aussi courte, moins de cent mètres, leurs silhouettes parfaitement distinctes. Mais peu de Palestiniens s'aventurent au-delà des pneus, il n'y a quasiment pas de lanceurs de pierres. Consignes du Hamas, peur des balles ? Impossible à dire. En réponse, peu de tirs israéliens mais des jets réguliers de gaz lacrymogène. En fin de journée, la situation se tend. L'armée israélienne signale le jet d'une grenade et de quelques «engins explosifs». En fin d'après-midi, le ministère de la Santé à Gaza faisait état de quatre morts et 525 blessés, 92 par balles, dont un photographe de l'AFP touché à la jambe.