Menu
Libération
Remous

Royaume-Uni : énième drame interne dans l'aquarium infernal du Brexit

Les menaces de démission de David Davis ont dominé la journée avant qu'un compromis vague sur la frontière irlandaise ne suspende, pour le moment, les hostilités au sein du gouvernement.
Le ministre britannique du Brexit, David Davis, à Londres le 22 mai. (Photo Ben Stansall. AFP)
publié le 8 juin 2018 à 13h32

La politique britannique ressemble de plus en plus à un aquarium. Un aquariophile incompétent ou malveillant y aurait balancé pêle-mêle des poissons d’eau douce, d’eau de mer, des tropicaux et des carnivores, des petits et des gros. Dans une eau oscillant selon les jours entre 5 et 32 degrés Celsius. Selon les lois immuables de la nature, chacun essayerait de survivre et d’avoir le dernier mot. Sans remarquer, postés autour de l’aquarium, une bande de vingt-sept chats même pas affamés mais franchement abasourdis par cette agitation stérile.

Démissionnera ? Démissionnera pas ? La journée de jeudi a tourné autour de cette question cruciale. David Davis allait-il finalement jeter l’éponge ? Ce n’est ni la première fois, ni certainement la dernière que le ministre britannique en charge du Brexit menace de quitter le gouvernement de Theresa May. Pourtant, cette fois-ci, la menace semblait un peu plus sérieuse. Le ministre, officiellement négociateur en chef pour le Brexit, avait laissé percevoir son mécontentement face à la solution proposée par le gouvernement pour résoudre le problème de la frontière nord-irlandaise. Cette ligne de 499 kilomètres deviendra effectivement, post-Brexit, à partir du 29 mars 2019, la seule frontière terrestre entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.

En fait, David Davis protestait contre un point extrêmement spécifique : la «clause de sauvegarde». Lors du Conseil européen de décembre dernier, les Vingt-Sept et le Royaume-Uni s'étaient mis d'accord pour inclure cette clause dans l'accord final de retrait de l'UE. Elle prévoit que, si aucun accord pour éviter une frontière solide entre la République d'Irlande et l'Irlande – refusée par tous – n'était trouvé au terme de la période de transition qui suivra le Brexit, le Royaume-Uni resterait, dans son intégralité, au sein de l'union douanière européenne. Ce qui, de fait, irait à l'encontre de l'idéal des brexiters et des lignes rouges définies par Theresa May qui prévoient une sortie de l'union douanière pour pouvoir signer en solo des accords de libre-échange avec des pays-tiers.

Bras de fer théâtral

La «clause de sauvegarde» est donc, en soi, une solution de recours d'urgence, au cas où toute autre solution d'accord échouerait. Mais pour les plus virulents des brexiters, l'introduction de cette clause risque en fait de prolonger indéfiniment le maintien du pays au sein de l'UE. D'où la demande de David Davis de fixer une date limite à cette clause. Après un bras de fer théâtral assorti d'une série de discussions tendues, David Davis n'a pas démissionné et le gouvernement a accouché d'une souris un peu absurde. Il a publié sa proposition d'accord sur la «clause de sauvegarde» en indiquant dans un paragraphe que «l'accord douanier temporaire, s'il s'avérait nécessaire, devra être limité dans le temps, et uniquement jusqu'à ce qu'un nouvel accord douanier soit introduit […] Le Royaume-Uni espère la mise en place des nouveaux arrangements d'ici décembre 2021». Comprenne qui pourra.

Le négociateur de la commission européenne, Michel Barnier, a indiqué que son équipe allait rapidement évaluer si cette proposition était «valable et viable». De son côté, le coordinateur du Brexit au Parlement européen, Guy Verhofstadt, a estimé qu'une «clause de sauvegarde qui est temporaire n'est pas une clause de sauvegarde, à moins que les arrangements définitifs soient les mêmes que la clause». Une fois de plus, l'impression de chaos côté britannique domine. Un document officiel, supposé présenter des propositions concrètes sur la position britannique post-Brexit et notamment sur les arrangements douaniers, pourrait d'ailleurs être repoussé à après le conseil européen des 28 et 29 juin prochains faute d'accord au sein du gouvernement de Theresa May.

Le sénateur irlandais Neale Richmond a résumé ainsi le psychodrame britannique. «C'est assez fascinant à suivre pour nous, a-t-il dit sur la BBC. En fait, nous sommes accros à la politique britannique, mais, au bout du compte, nous aurons à négocier directement avec la Première ministre et son ministre en charge du Brexit», quels qu'ils soient.