A priori, c’est ridicule. Faire entrer les jeux vidéo dans le catalogue des addictions, aux côtés de l’héroïne, de la cocaïne ou de l’ecstasy ? L’OMS n’aurait-elle pas mieux à faire ? Certes. Mais les cris d’orfraie poussés par l’industrie du jeu, qui n’a pas d’autre feuille de température que ses cours de Bourse, doivent faire dresser l’oreille. Les critères établis par l’Organisation mondiale de santé publique ne concernent de toute manière qu’une infime minorité de joueurs, dont le comportement conduit à une désocialisation totale, et dont on peut légitimement s’inquiéter. Les autres, la quasi-totalité, sont laissés à la banalité tranquille de leur passion numérique, qui concerne au pire les familles et non les médecins. Le tir de barrage des vendeurs de jeux, en fait, recouvre une prétention dangereuse : comme tous les industriels, ceux du tabac, du sucre, ou des armes à feu, ils postulent leur irresponsabilité totale. Je fabrique, disent-ils, les consommateurs font ce qu’ils veulent. Avec cet argument, les cigarettiers ont fait obstacle pendant des décennies à toutes les campagnes de prévention du cancer tabagique. Or on sait que certains producteurs conçoivent leurs jeux précisément pour susciter chez les joueurs non un surcroît de vivacité ou d’intelligence, mais une pure et simple addiction, qui se traduit par un mode de vie légumier et, dans les cas extrêmes, par un retrait du monde. En tirant la sonnette d’alarme, l’OMS ne dénigre en rien un passe-temps inoffensif pour la plupart des joueurs, même si l’usage massif de la violence symbolique, qu’on stigmatise par ailleurs, a parfois quelque chose d’écœurant pour l’observateur candide. Nulle interdiction là-dedans, nulle mise à l’index : une incitation discrète à l’examen de conscience des créateurs. Faut-il s’en formaliser ?
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