Lundi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a présenté son projet pour la onzième révision de sa classification internationale des maladies, qui sera officiellement approuvée en mai 2019. Une opération loin d’être anecdotique, la dixième révision remontant à 1990. Au sein de la section consacrée aux troubles mentaux liés aux comportements addictifs, on trouve un nouvel entrant aux côtés des jeux d’argent : le jeu vidéo. Une décision qui peut surprendre car il s’agit d’une pratique ludique très populaire (on parle de 2,5 milliards de joueurs à travers le monde) qui semble bien éloignée, en matière de risques pour la personne, de ses nouveaux voisins chez l’OMS que sont les drogues dures, l’alcool et le tabac.
Quelle est cette maladie ?
Le document de l'OMS indique que «le trouble du jeu vidéo est caractérisé par un comportement persistant caractérisé par 1) la perte de contrôle sur le jeu ; 2) la priorité croissante accordée au jeu par rapport aux autres centre d'intérêt ; 3) la poursuite ou escalade de la pratique malgré des conséquences négatives». Une situation qui doit durer plus de douze mois et avoir des répercussions sur la vie sociale, professionnelle, scolaire ou familiale. Le docteur Shekhar Saxena, directeur du département de santé mentale de l'OMS, décrit à l'AFP : «La personne joue tellement que d'autres centres d'intérêt et activités sont délaissés, y compris le sommeil et les repas.»
Une erreur de diagnostic ?
En première ligne contre cette nouvelle classification, on trouve bien sûr l'industrie du jeu vidéo, qui voit d'un bien mauvais œil ce qu'elle ressent comme une nouvelle stigmatisation institutionnelle alors que le gaming commençait tout juste à être reconnu comme une pratique culturelle légitime. Un communiqué commun à plusieurs associations d'éditeurs à travers le monde appelle au retrait : «Nous encourageons l'OMS à ne pas prendre des mesures qui engendreraient des implications injustifiées de la part des systèmes de santé nationaux, à travers le monde.» Mais au-delà de ce lobbying attendu, on est loin du consensus concernant cette nouvelle pathologie. Une publication scientifique cosignée par de nombreux chercheurs, intitulée Une base scientifique faible pour les troubles du jeu : faisons preuve de prudence, conteste ainsi les conclusions de l'OMS. Pour eux, il est par exemple très compliqué d'isoler un trouble spécifique lié au jeu d'une pathologie préexistante comme la dépression ou l'anxiété.
Et les effets secondaires ?
Pour l'OMS, la reconnaissance officielle de ce trouble «servira un objectif de santé publique pour que les pays soient mieux préparés à identifier ce problème». L'idée est de pouvoir travailler sur la prévention et de développer la recherche de traitements efficaces pour ce problème très spécifique. L'inquiétude, de l'autre côté, est surtout de voir se généraliser une approche médicale pour une pratique parfois excessive, mais qui n'a rien de pathologique. En 2017, dans son rapport consacré au numérique, l'Unicef expliquait ainsi : «L'emploi d'une terminologie associée à l'addiction pour décrire les préoccupations au sujet de l'utilisation croissante des technologies numériques par les enfants comporte des risques. […] L'application de concepts cliniques aux comportements quotidiens d'enfants ne contribue pas à les aider à assainir leur temps d'écran.»