Pour Claire Mestre, les mesures de séparation à la frontière américaine font courir un risque majeur sur le développement psychologique des enfants ainsi enfermés et séparés de leurs parents. Le phénomène trouve des parallèles dans la situation française.
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Comment voyez-vous la décision initiale de l’administration Trump de séparer les enfants de leurs parents migrants à la frontière américaine ?
C’est un acte raciste, discriminatoire, mais il y a surtout une mise en scène de l’humiliation : les placer dans des cages, outre la gravité du geste, c’est une façon de disqualifier les parents aux yeux du monde entier. En France, on a un certain nombre de migrants suivis en consultation qui sont loin de leurs enfants pour des raisons diverses, dont les enfants ne peuvent pas les rejoindre, ou qui en ont été séparés lors du parcours migratoire, et ils se sentent impuissants. Le revers de l’impuissance, c’est la honte.
Quels ont pu être les effets de cet enfermement et de cette séparation sur les enfants ?
Cela dépend de leur âge : cela n’aura pas les mêmes répercussions sur un ado, presque adulte, que sur un bébé. Ce qui est très grave, c’est le climat d’insécurité que provoque cette séparation non anticipée, plus dure à gérer qu’une séparation prévue. Les enfants ne savent pas si leurs parents reviendront. L’insécurité psychique est toujours redoutable pour les enfants. A court terme, cela peut avoir un effet de sidération. A long terme, cela peut laisser des troubles, des traces psychiques profondes.
Ces traces à long terme peuvent-elles se traduire par des gestes autodestructeurs ?
On sait très bien que l’humiliation et la honte sont à long terme des bombes à retardement. On n’est pas devins, on ne peut pas savoir comment cela va se finir, mais c’est de toute façon très dommageable.
Est-ce qu’on ne risque pas d’en faire des adultes qui ont ensuite une défiance profonde dans les institutions ou les autorités ?
Bien sûr, c’est évident. Pour les jeunes, il peut y avoir des scénarios de vengeance. Et cela vaut aussi pour nous, en France, quand on reçoit mal les mineurs non accompagnés, par exemple.
L’association américaine des pédiatres a évoqué du «stress toxique» qui perturbe selon ces médecins «l’architecture de leur cerveau et les empêche de développer leur langage, leur capacité à tisser des liens sociaux, leurs capacités motrices». Partagez-vous cette crainte ?
Absolument. On sait bien qu’un enfant, pour se développer harmonieusement, doit avoir un environnement sécurisant, pas trop de rupture, ni de violence.
On a vu sur les images diffusées par les autorités américaines des enfants qui, bien qu’enfermés, étaient scolarisés. Mais peut-on vraiment apprendre dans cet environnement ?
Il y a une dimension individuelle, et une dimension politique. Même en France, aller à l’école en sachant que ses parents sont disqualifiés provoque des ruptures d’apprentissage. Les enfants ne sont pas des robots : il faudrait une force psychique incroyable pour faire une scolarité normale dans ces conditions.