Serait-ce le commencement de l'amorce du crépuscule pour Recep Tayyip Erdogan ? Il faut nous méfier de nos désirs, ils ne peuvent pas toujours changer la réalité. Mais enfin, le simple fait de savoir le sultan fragilisé est déjà une éclaircie en soi dans le ciel plombé qui s'est abattu sur le monde. On croyait Erdogan vissé à vie en son palais d'Ankara et les Turcs fascinés par l'aura et la poigne de cet homme de fer mué en dictateur : ils le sont peut-être encore, mais ils ont faim. «It's the economy, stupid», cette célèbre phrase d'un conseiller de Bill Clinton qui avait compris l'importance de la santé économique d'un pays dans l'orientation du vote de son peuple, résume à elle seule le désamour - peut-être relatif, nous le saurons dimanche soir - des Turcs vis-à-vis de leur leader. A force de jeter une partie de sa population en prison, de faire vibrer la fibre nationaliste et populiste, d'exacerber le sentiment religieux, de nouer des liaisons dangereuses et d'injurier les partenaires occidentaux, Erdogan a fait fuir investisseurs et touristes. La Turquie bénéficie toujours d'un taux de croissance économique à faire pâlir d'envie un dirigeant européen, mais le chômage culmine, la monnaie s'est effondrée et l'inflation a grimpé, autant d'indicateurs perceptibles au quotidien par la population qui commence à renâcler. La privation de libertés s'accorde assez mal avec la misère, sauf en Corée du Nord. Mais restons prudents : il n'y a rien de plus dangereux qu'un fauve blessé. Surtout dans son amour-propre. Nul ne peut prédire comment réagira le «reis» s'il se retrouve en ballottage. Connaissant l'homme, il serait capable de déclencher une nouvelle crise. Et n'hésitera pas à bourrer les urnes ou à trafiquer les bulletins. Une chose est sûre : l'intérêt suscité par ces élections montre bien le rôle capital que joue désormais la Turquie sur la scène internationale.
EDITORIAL
Fauve blessé
publié le 22 juin 2018 à 20h46
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