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Libération
Récit

Le Royaume-Uni toujours dans le noir, deux ans jour pour jour après le vote sur le Brexit

Le pays reste divisé entre pro et anti-Europe et ne sait toujours pas à quoi il ressemblera une fois sorti de l'UE.
La Première ministre britannique, Theresa May, lors du sommet du G7 au Canada, le 9 juin. (Photo Leon Neal. AFP)
publié le 23 juin 2018 à 9h27

Rien ne change, ou presque. Deux ans jour pour jour après le référendum sur la sortie de l'Union européenne, l'été bat son plein au Royaume-Uni où, comme en 2016 et 2017, on a sorti les transats dans les parcs et le Pimm's, boisson de l'été, dans les pubs. Deux ans après la décision historique, le pays reste aussi profondément divisé. Surtout, comme il y a deux ans, personne n'a la moindre idée de ce à quoi ressemblera ce fameux Brexit, prévu pour le 29 mars 2019. Ce samedi, pendant que la BBC Parliament rediffusera toute la journée le vote de 2016, une grande manifestation pro-européenne est prévue à Londres et dans plusieurs grandes villes.

Le 23 juin 2016, les Britanniques votaient à 52% en faveur d’une sortie de l’UE et 48% contre. Si un nouveau sondage avait lieu aujourd’hui, ils choisiraient à 53% de rester au sein de l’UE et à 47% de la quitter, selon une enquête d’opinion de l’institut Survation, publié vendredi. On reste dans la marge d’erreur et si les sondages affirment que les Britanniques sont en majorité en faveur d’un nouveau référendum, rien ne dit que le résultat en serait fondamentalement différent. Quant aux négociations en cours avec l’UE, tant les partisans du Brexit que ses opposants estiment qu’elles se passent très mal.

«White paper»

En soi, cela n’a rien d’étonnant puisque le gouvernement britannique n’a pas encore fini de négocier avec lui-même. Le prochain conseil européen, prévu jeudi et vendredi à Bruxelles, devait être crucial, le moment où des avancées significatives seraient annoncées, notamment sur la question de la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord et sur la future relation avec l’UE. Mais le dossier sur l’Irlande n’a pas avancé.

Quant au fameux «white paper», la proposition britannique de cadre de la future relation, sa publication a été repoussée à… après le sommet européen. Le gouvernement n'a pas fini de se disputer sur le sujet et Theresa May a donc décidé d'enfermer ses ministres pendant un week-end en juillet à Chequers, la résidence de campagne des Premiers ministres britanniques, jusqu'à ce qu'ils se soient mis d'accord. Le conseil européen de la semaine prochaine, qui aura aussi bien d'autres chats à fouetter que le Brexit, pourrait bien se conclure par une énième déclaration de bonnes intentions et un rappel que le temps presse pour avancer vers une résolution.

«Pas encore dramatique, mais visible»

Le temps presse particulièrement pour les entreprises qui, après avoir exprimé leurs inquiétudes depuis des mois discrètement et en privé, commencent à sortir du bois. Airbus a ainsi publié vendredi sur son site une «évaluation des risques du Brexit». Sa lecture en est glaçante. La compagnie aérospatiale, qui emploie directement au Royaume-Uni 14 000 personnes et 110 000 à travers ses fournisseurs, y menace de suspendre ses investissements au Royaume-Uni et de transférer ailleurs la fabrication des ailes d'avion qu'elle y produit. «Cette annonce est particulièrement frappante parce qu'elle est très inhabituelle», analyse le professeur Anand Menon, directeur du think tank «UK in a Changing Europe» au King's College de Londres.

La semaine dernière, Rolls-Royce avait annoncé la suppression de 4 600 emplois au cours des deux prochaines années, sans «jamais prononcer le mot Brexit», note Anand Menon. Rolls-Royce avait parlé de restructuration de son activité. «Il sera intéressant de voir si d'autres compagnies vont suivre», poursuit Menon. Ce ne serait pas étonnant. Les entreprises ont souvent laissé percer leur frustration, agacées par un gouvernement qui ne semble pas prendre en compte leurs préoccupations. Cette fois-ci, des représentants d'Airbus ont été reçus dès vendredi à Downing Street et le porte-parole de la Première ministre a affirmé que «bien évidemment, ils seront entendus».

Pour Jonathan Portes, professeur en économie à King's College, «la première année qui a suivi le vote sur le Brexit, on n'a pas noté de changements très notables dans l'économie, mais là, à la fin de la deuxième année, l'impact, négatif, est désormais visible. Pas encore dramatique, mais visible», note-t-il. L'effet du vote se lit aussi encore plus sur l'immigration, le sujet clé du référendum. «La baisse de l'immigration européenne vers le Royaume-Uni est très marquée», souligne Jonathan Portes.

Des statistiques officielles devraient être publiées en juillet par l'Office national des statistiques et «elles seront très frappantes», estime-t-il. Vendredi, au lendemain de l'annonce par le ministère britannique de l'Intérieur des modalités qui seront mises en place pour régulariser la situation post-Brexit des quelque 3 millions de citoyens européens qui vivent au Royaume-Uni, le Daily Mail, quotidien le plus lu et le plus xénophobe du pays avec le Sun, titrait : «3,6 millions de migrants autorisés à rester ici, c'est 600 000 de plus que prévu… et ils pourront ramener leurs familles !» Deux ans plus tard, rien n'a vraiment changé.