L'an dernier, Donald Trump avait qualifié l'entreprise Harley Davidson de «véritable icône américaine» et l'avait remerciée de «construire des choses en Amérique». Mardi matin, il a menacé le fabricant de grosses cylindrées de le taxer fortement, et lui a plus ou moins prédit la faillite. «Une Harley Davidson ne devrait jamais être fabriquée dans un autre pays - jamais ! a-t-il tweeté. Ses employés et ses clients sont déjà très en colère contre [l'entreprise]. Si elle s'exécute, regardez bien, ce sera le début de la fin. […] Elle aura perdu son aura et sera taxée comme jamais auparavant !»
«Prétexte». Entre les deux, il y a eu l'annonce, lundi, par le célèbre groupe américain créé il y a cent quinze ans et basé à Milwaukee, dans le Wisconsin, de son intention de délocaliser une partie de sa production pour échapper aux tarifs douaniers instaurés par Bruxelles en représailles à ceux de Washington. Depuis vendredi en effet, l'Union européenne impose des droits de douane supplémentaires sur une liste de produits fabriqués aux Etats-Unis, dont le maïs, le bourbon, le jus d'orange et les motos, désormais taxés à 25 %. La Commission entend ainsi répondre aux taxes sur l'acier et l'aluminium européens, imposées par Washington depuis le 1er juin.
Dans un document public, Harley Davidson affirme que ces taxes, qui passent de 6 à 31 %, «induisent un coût supplémentaire de 2 200 dollars en moyenne [1889 euros, ndlr] par véhicule exporté des Etats-Unis à l'Union européenne». L'entreprise, qui assure ne pas vouloir répercuter cette augmentation sur ses clients, au risque de faire plonger ses ventes européennes et de «menacer la viabilité des concessionnaires», a donc annoncé qu'elle allait déplacer, dans un délai «de neuf à dix-huit mois», une partie de sa production en dehors des Etats-Unis. Le marché européen, où 40 000 Harleys se sont vendues en 2017, est le deuxième plus important pour la firme après les Etats-Unis. Mais pour le président américain, le fabricant instrumentalise la «guerre commerciale» comme «prétexte» pour justifier la délocalisation d'une partie de sa production en dehors des Etats-Unis. «Plus tôt cette année, Harley Davidson a indiqué qu'ils délocaliseraient la plupart de leurs opérations du site de Kansas City en Thaïlande, a-t-il tweeté mardi matin. C'était bien avant que les tarifs ne soient annoncés.»
«Gifle». Trump fait ici référence à l'annonce par le groupe américain, début 2018, de la fermeture d'un site à Kansas City (Missouri). Une opération qui devait conduire à la suppression de 800 emplois dans cette usine et à la création de 450 autres d'ici 2019 sur le site de York, en Pennsylvanie. Mais les syndicats affirment qu'une partie de ces emplois va en fait être transférés en Thaïlande.
«L'annonce de Harley Davidson est une nouvelle gifle administrée à sa main-d'œuvre loyale et hautement qualifiée, qui a fait de Harley une marque américaine emblématique, a déclaré Robert Martinez Jr, le président du syndicat International Association of Machinists and Aerospace Workers. Cette dernière démarche est en droite ligne avec les décisions prises par Harley d'ouvrir des usines hors d'Amérique du Nord.» L'entreprise produit en effet des motos ou certaines pièces dans des installations au Brésil, en Australie, en Inde et en Thaïlande, notamment pour contourner les barrières douanières à l'importation.
Dégringoler. Pour Chad Bown, ancien conseiller économique de Barack Obama et à la Banque mondiale, aujourd'hui au think tank Peterson Institute for International Economics, la politique protectionniste de Trump «rend la production aux Etats-Unis et l'exportation en Europe de plus en plus ardues pour une entreprise comme Harley Davidson». Selon l'économiste, la stratégie commerciale de Trump est «triplement pénalisante» pour le fabricant américain : avec ses taxes sur les importations d'acier et l'aluminium, qui visent également la Chine, «les coûts de production aux Etats-Unis ont augmenté, les motos américaines sont beaucoup plus taxées à l'export en Europe, et elles deviennent moins compétitives que les motos japonaises. Car en parallèle, l'Union européenne, qui négocie en ce moment avec le Japon un accord de libre-échange, a baissé ses droits de douane vis-à-vis des Yamaha et autres Honda».
Au nom de la protection des emplois et des produits américains, la Maison Blanche s’est lancée dans un bras de fer avec ses plus grands partenaires commerciaux. Le Canada, le Mexique, l’Union européenne et la Chine ont tous contre-attaqué, créant des situations opposées à la volonté présidentielle. La semaine dernière, Daimler a annoncé un avertissement sur résultats, le constructeur automobile accusant les représailles chinoises de faire dégringoler ses ventes de 4 × 4 fabriqués en Alabama. Mid Continent Nail Corporation, un fabricant de clous basé dans le Missouri, a annoncé le licenciement de 60 de ses 500 employés, et envisage même sa fermeture, s’estimant incapable d’absorber l’augmentation du coût de sa matière première, l’acier, qu’il importe du Mexique.