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Au Mexique, Amlo porté par une «insurrection électorale»

Le candidat de la gauche unie, Andrés Manuel López Obrador, est le favori d’un scrutin où les partis traditionnels devraient être battus par la colère face à la violence, la corruption et les inégalités.
Andrés Manuel López Obrador, dit Amlo, à Mexico, mercredi. (Photo Ronaldo Schemidt. AFP)
publié le 28 juin 2018 à 20h36

Un candidat à la victoire assurée, un tournant à gauche historique et une participation record : si les prédictions se vérifient, le Mexique vivra ce dimanche un scrutin exceptionnel. L’ancien maire de Mexico Andrés Manuel López Obrador, appelé Amlo, 64 ans, à la tête d’une coalition de gauche, part largement favori dans la course à la présidence, qui se joue en un seul tour.

Austère. L'avantage écrasant de 25 points dont le gratifient les sondages donnait à son meeting de clôture, mercredi soir au stade Aztèque, des allures de célébration anticipée. Sous les vivats de la foule, López Obrador a réitéré son ambition de transformer le pays, d'en finir avec le «vieux régime» : «Nous sommes au seuil d'une nouvelle ère, une renaissance du Mexique, vers la prospérité, la paix et la justice.» «Il va prendre en compte ceux qui ne l'ont jamais été, il va défendre les intérêts de tout le pays», s'enflamme Anahí, une jeune femme qui dit n'avoir jamais voté auparavant, et qui est aujourd'hui convaincue que le pays s'est trouvé un guide. «J'ai une ambition, je le confesse : je veux être un bon président», a lancé le candidat aux gradins du stade qui l'acclamaient en fin de soirée.

López Obrador pourrait l’emporter avec un niveau de soutien populaire jamais observé au Mexique depuis trois décennies. Dans la frénésie des chiffres qui précèdent le scrutin, certains évoquent une victoire majoritaire, inédite, tant à la présidentielle qu’aux législatives. En outre, Morena, le parti formé par López Obrador en 2014, pourrait s’arroger de nombreux triomphes aux municipales.

Pourquoi tant d’espoirs convergent-ils vers la gauche ? Certes, une partie des Mexicains est séduite par le style López Obrador, l’homme austère, «proche du peuple» pour certains, «populiste» pour d’autres. Mais les électeurs se montrent surtout révulsés par le système actuel : l’alternance du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) et du Parti d’action nationale (PAN), qui se bousculent ou s’allient, toujours à droite. Si la présidence de Felipe Calderón, de 2006 à 2012, a été marquée par la violence et la corruption, le gouvernement actuel d’Enrique Peña Nieto l’a été par la corruption et la violence… La redondance des problèmes est exacerbée quand on regarde les indicateurs sociaux : 53 millions de pauvres, la moitié de la population. Les adversaires de López Obrador, Ricardo Anaya (PAN) et José Antonio Meade (PRI), un ex-ministre de Peña Nieto, se sont efforcés des mois durant, sans succès, de démontrer qu’ils n’avaient aucune responsabilité à assumer dans les tares qui affligent le pays, qui a pourtant toujours été gouverné par leurs partis.

Soupçons de fraude. Davantage qu'un tournant à gauche, une victoire d'Amlo serait une «insurrection électorale», selon les mots de l'historien Lorenzo Meyer. L'élection de dimanche sera celle du changement de système. Selon le principal intéressé, ce sera le début d'une «révolution pacifique». «López Obrador propose d'affronter la corruption et les inégalités, de promouvoir une justice sociale et une politique économique différente de celle proposée ces trente dernières années, qui était focalisée sur la stabilité des marchés», analyse Daniel Moreno, directeur du journal en ligne Animal Político. Corruption et inégalités, les deux chevaux de bataille d'Amlo sont toujours liés dans ses discours : si le peuple est pauvre, c'est parce que ses gouvernants le volent. «Son honnêteté» est la qualité la plus souvent attribuée à López Obrador par les Mexicains. Les autres candidats, eux, sont plus difficilement perçus comme incorruptibles.

Quant à la violence, les aspirants ont tous été critiqués pour leur absence de propositions claires, alors qu'un record de meurtres était battu l'an dernier (plus de 28 000). Enjeu de la campagne, la violence en était aussi la grande protagoniste. Plus de 130 élus et candidats ont été assassinés depuis le début du processus électoral, en septembre 2017, des crimes attribués au crime organisé. «Ces chiffres sont scandaleux, assure Daniel Moreno. Et pourtant, aucun parti, alors que tous ont vu mourir des candidats issus de leurs rangs, n'a suspendu un seul jour sa campagne en guise de protestation. Il faudra plus qu'une promesse de freiner la violence, formulée par tous, pour nous convaincre sur ce terrain.»

Alors qu’une euphorie grandissante, encore contenue par les soupçons de fraude, gagne les fidèles d’Amlo, ses nouveaux électeurs, les dégoûtés du PRI et du PAN, se demandent comment le favori s’y prendra pour mettre le Mexique sur le chemin de la paix.