Démissions ? Explosions ? Duels dans le jardin ? La journée à la campagne organisée ce vendredi pour ses ministres par Theresa May promet d'être intéressante, sinon violente. Jusque tard dans la soirée, la Première ministre britannique bouclera son cabinet dans la résidence de Chequers, un ravissant manoir du XVIe siècle dans le Buckinghamshire, au nord-ouest de Londres, avec un seul objectif : en sortir avec un accord sur le futur du Royaume-Uni post-Brexit. Deux ans après le référendum sur la sortie de l'Union européenne, neuf mois avant la date officielle du Brexit, le 29 mars 2019, le Royaume-Uni n'a toujours pas de plan. Cette fois-ci, Theresa May en est pourtant sûre, une solution devrait émerger.
Fantaisistes. On pourrait en douter tant les dissensions du gouvernement sur le Brexit éclipsent toute autre discussion sur l'économie, les lois - bref, sur la politique normale d'un gouvernement. L'impatience monte en flèche depuis quelques mois au sein de l'Union européenne face au manque de progrès dans les négociations et aux propositions avancées jusqu'ici par Londres, jugées au mieux irréalisables, au pire franchement fantaisistes. Elle grimpe aussi au sein des grands acteurs de l'économie britannique, qui mettent en garde le gouvernement contre une catastrophe économique. Après Airbus ou BMW, c'est le patron de Jaguar Land Rover (JLR), plus gros fabricant de voitures au Royaume-Uni, qui a menacé jeudi d'y stopper tout investissement - 90 millions d'euros sur cinq ans sont envisagés pour développer des véhicules électriques -, voire de retirer sa production en cas d'absence de clarification urgente du gouvernement. «Si nous sommes forcés de nous retirer parce que nous n'avons pas d'accord correct, alors nous devrons fermer des usines au Royaume-Uni et cela sera très, très triste», a prévenu Ralf Speth, directeur général de JLR, qui emploie 40 000 personnes au Royaume-Uni. La compagnie a récemment transféré toute la production de son véhicule Discovery vers la Slovaquie.
Pourtant, à en croire Downing Street, Theresa May a désormais un plan sérieux - baptisé «Troisième voie» - dont aucun ministre n'avait cependant pris connaissance avant la réunion à Chequers - y compris David Davis, en charge du Brexit. Selon les quelques fuites distillées dans la presse, Theresa May envisagerait de proposer «un arrangement douanier facilité». Les biens arrivant au Royaume-Uni se verraient appliquer des tarifs douaniers fixés par Londres. Mais pour ceux qui ne feraient que transiter par le Royaume-Uni et seraient destinés à l'UE, Londres se chargerait de récolter, pour l'UE, les tarifs douaniers européens et de les lui reverser ensuite. Un système électronique, non encore testé, ni même vraiment existant, permettrait de tracer la destination des biens. Il permettrait de régler la question de la frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande qui resterait donc absente. Mais rien ne dit que Bruxelles jugera ce plan applicable. Comment, notamment, garantir l'absence de fraudes massives ? Car certains pourraient choisir de payer des tarifs douaniers «britanniques» plus bas avant de transférer la marchandise vers le marché européen…
Theresa May proposerait donc, selon ce plan, de maintenir la libre circulation des biens et des marchandises. En revanche, elle resterait ferme sur la fin de la libre circulation des personnes - même si elle pourrait proposer des aménagements préférentiels pour les citoyens européens -, des services et des capitaux. Le Royaume-Uni envisage une fois de plus de diviser les quatre libertés fondamentales de l’Union européenne, inscrites dans le traité fondateur de 1957. Or jusqu’à présent, l’UE a opposé une fin de non-recevoir à tout traitement préférentiel pour le Royaume-Uni. Bousculée par la montée des populismes en Italie et en Europe de l’Est, comme par les difficultés d’Angela Merkel en Allemagne, elle n’a pas intérêt à se fragiliser un peu plus en attaquant les fondements même de son existence.
Ce point de vue n’est, semble-t-il, pas audible par le gouvernement britannique, qui estime que la situation unique du Royaume-Uni - premier pays à quitter l’UE, poids économique et en matière de sécurité - appelle à une certaine souplesse de la part des Vingt-Sept. Theresa May s’est rendue mercredi à La Haye rencontrer le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, et jeudi à Berlin voir la chancelière Angela Merkel. Ces deux dirigeants sont perçus par Londres comme les plus proches, et May espérera avoir obtenu au moins un «peut-être» à ses propositions.
«Fuck». Mais l'opinion des Vingt-Sept importe en fait peu pour le moment. Theresa May doit d'abord rallier ses ministres. Et c'est loin d'être acquis. Les ardents «brexiters», Boris Johnson, ministre des Affaires étrangères (qui a lancé, en réponse aux inquiétudes des entreprises, un «fuck business !»), Michael Gove, ministre de l'Environnement, ou même David Davis, seront sans doute les plus difficiles à convaincre. Une quarantaine de députés conservateurs, menés par Jacob Rees-Mogg, ont menacé de renverser May si elle divergeait du plan d'un Brexit total et envisageait finalement de rester, si ce n'est en nom mais au moins en actes, au sein de l'union douanière et du marché unique. Menace ultime, l'ex-leader du parti europhobe Ukip, Nigel Farage, a même menacé de revenir sur le devant de la scène politique. Ce n'est pas la première fois, sans doute pas la dernière. Pour Theresa May, l'heure est venue de choisir entre satisfaire ses troupes conservatrices et servir son pays. Les 51,9 % de Britanniques qui ont voté pour sortir de l'Union européenne, lors d'un référendum alors uniquement consultatif, n'ont jamais signé pour le marasme économique.